Et si Freud revenait ...

Et si Freud revenait aujourd’hui et découvrait 
les neurosciences, la psychologie évolutionniste ou les théories sociales de l’identité, que penserait-il ? Parviendrait-il à concilier 
ces nouvelles approches du psychisme avec sa propre théorie ? Imaginons

Imaginons que Sigmund Freud réapparaisse tout à coup, dans la maison londonienne où il est mort soixante ans plus tôt, après s’être fait injecter une dose mortelle de morphine par son médecin (1).

Ayant pris connaissance des développements de la psychologie depuis un demi-siècle – de la psychologie sociale aux sciences cognitives, des neurosciences à la psychologie évolutionniste, des recherches sur les émotions à celles sur la conscience –, il ne peut que s’interroger. Faut-il vouer au diable toutes ces disciplines et s’enfermer dans sa tour d’ivoire comme le font certains de ces disciples ? Faut-il jeter l’éponge et admettre que ses théories sont dépassées ? Où bien est-il possible d’articuler tout cela à sa propre théorie ?

Voyons, se dit-il, la psychanalyse que j’ai inventée est à la fois une méthode d’investigation, une thérapie et une « métapsychologie ». Pour la méthode analytique (celle des associations libres), Freud pense qu’elle est la voie royale d’accès à l’inconscient, mais n’a jamais prétendu qu’elle était l’unique voie ni qu’elle était incompatible avec d’autres moyens d’investigation. La psychanalyse comme traitement ? Sur la fin de sa vie, Freud ne croyait plus vraiment à ses vertus thérapeutiques. Reste donc la métapsychologie. « J’ai forgé tout un appareillage de concepts – refoulement, complexe d’Œdipe, transfert, mécanismes de défense, narcissisme –, destiné à expliquer les rêves, les névroses, pense Freud. Tout cela repose sur un socle théorique, un “paradigme” comme on dit aujourd’hui, qui est ma théorie de la psyché. J’ai détrôné le “sujet souverain” de la vieille psychologie, j’ai brisé l’illusion de l’ego unifié pour montrer que dans le théâtre intérieur de l’esprit, trois personnages dialoguent et se combattent : le ça, le moi, le surmoi. »

Mais que vaut ce modèle au regard de la psychologie contemporaine ? Trouve-t-on des confirmations ou des équivalents de nos trois personnages dans les psychologies apparues depuis ? Il est temps de voir tout cela.

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Darwin et Freud, même combat ?

Le premier personnage de notre théâtre intérieur est l’inconscient. Qui est-il vraiment ? Que veut-il ? Depuis que Freud est mort, personne ne le sait vraiment car il existe autant de conceptions de l’inconscient que de psychanalystes. Freud lui-même, dans sa dernière théorie, l’avait rebaptisé le « ça », cette « marmite bouillonnante » où mijotent nos pulsions fondamentales : pulsion de vie et pulsion de mort, sexe et agressivité. Ce sont les grandes fonctions vitales, biologiques, animales, qui se fixent sur des objets d’amour et de haine (père, mère, etc.) et sur leurs substituts symboliques. Ces pulsions sont métamorphosées en représentations et polarisées sur tel ou tel objet en fonction des histoires personnelles. Mais toutes sont mues par un seul but final : le plaisir. Que penser du ça au regard de la psychologie contemporaine ?

L’étude de la sexualité a connu un boom depuis peu. On a vu apparaître des études sur les fondements éthologiques de l’amour et de l’attachement, une « chimie du désir » et la psychologie évolutionniste. Force est de constater que les psychanalystes et les tenants de ces nouvelles disciplines ne s’aiment guère, et s’opposent sur de nombreuses questions. Les théoriciens de l’attachement refusent de faire dériver les liens qui unissent mère et enfant de la sexualité à d’autres besoins primaires. De même, les recherches neurobiologiques sur l’amour romantique tendent à montrer aussi que l’amour est une émotion spécifique, distincte du désir sexuel (2). « Mais, après tout, pense encore Freud, ces approches ne sont pas si inconciliables avec mon modèle ? Moi-même, j’avais introduit un nouvel élément – l’agressivité – dans la marmite bouillante du ça. On peut donc en accueillir d’autres, fondamentaux ou dérivés de ces pulsions premières. »