Galaxie de contemporains

Ils sont psychologues, sociologues, philosophes ou historiens : chacun à sa manière, ces penseurs déchiffrent les mécanismes de la cognition, les ressorts de la motivation, le rôle de la pédagogie ou l’évolution de l’école. Sciences Humaines les a rencontrés et propose un tableau – non exhaustif – de quelques figures qui occupent aujourd’hui le devant de la scène.

Stanislas Dehaene
Vers une neuropédagogie

Depuis une dizaine d’années, les recherches en neurosciences ont apporté de nouvelles connaissances sur le fonctionnement du cerveau et sur la manière dont les enfants apprennent.

Professeur au Collège de France, le chercheur Stanislas Dehaene fait figure de pionnier avec ses recherches sur les bases cérébrales du calcul et de la lecture. Il a montré notamment que les circuits utilisés pour lire et compter correspondent à des zones très précises du cerveau, quelle que soit la culture ou la langue du sujet. En comparant le cerveau de bons lecteurs à celui de personnes illettrées, ces recherches ont également mis en évidence qu’apprendre à lire induit des modifications de l’anatomie et de l’activité cérébrale, qui jouent en retour sur la qualité du langage oral. Démontrer que le cerveau se transforme en apprenant n’est pas l’une des moindres avancées de ces dernières décennies.

Les travaux de son équipe du laboratoire NeuroSpin, (unité Inserm de neuroimagerie cognitive, situé à Saclay) et la collaboration de nombreux chercheurs internationaux, ont permis d’apporter, grâce à l’imagerie cérébrale, de nouveaux éclairages sur l’apprentissage et sur ses difficultés, notamment en matière de dyslexie.

L’apprentissage de la lecture notamment a fait l’objet récemment de révisions importantes : la supériorité des méthodes privilégiant une approche phonique (apprentissage systématique des correspondances entre les lettres et les sons) est aujourd’hui confirmée par les recherches internationales. Les enfants ayant appris à décrypter systématiquement les phonèmes deviennent de meilleurs lecteurs que ceux qui ont appris les mots globalement. En outre, ajoute S. Dehaene, « on redécouvre actuellement l’importance du geste d’écriture. Écrire le mot lentement au tableau tout en l’épelant, faire tracer les lettres par l’enfant, sont bénéfiques, notamment parce que ces méthodes soulignent l’organisation spatiale et temporelle du mot (www.MonCerveauALecole.com.) ».

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Ces recherches ne vont pas sans confirmer les intuitions de certains pédagogues telle Maria Montessori au début du 20e siècle. C’est pourquoi les neuroscientifiques ont apporté leur soutien à Céline Alvarez, cette institutrice démissionnaire de l’Éducation nationale, qui prône de croiser les recherches des neurosciences avec la pédagogie Montessori (Les Lois naturelles de l’enfant, 2016).

Aujourd’hui, des équipes pluridisciplinaires – neuroscientifiques, psycholinguistes, chercheurs en sciences de l’éducation – collaborent pour diffuser ces résultats auprès des enseignants. Ces découvertes commencent aussi à être enseignées aux étudiants des nouvelles écoles supérieures du professorat et de l’éducation (ESPE). Le 21e siècle sera-t-il celui d’une neuropédagogie ayant pour ambition de mieux comprendre ce qui se joue dans le cerveau d’un enfant qui apprend, et d’améliorer ainsi les méthodes d’apprentissage ? ●

À LIRE…

• Les Neurones de la lecture
Odile Jacob, 2007.
• La Bosse des maths
Nouv. éd., Odile Jacob, 2010.
• Apprendre à lire. Des sciences cognitives à la salle de classe
Odile Jacob, 2011.
• Le Code de la conscience
Odile Jacob, 2014.



Olivier Houdé
Le rôle de l’inhibition

Professeur à l’université Paris-V où il dirige le Laboratoire de psychologie du développement et de l’éducation de l’enfant, Olivier Houdé est aussi un militant de la neuropédagogie, « véritable science des apprentissages » qui aide à comprendre pourquoi certaines situations d’apprentissage sont efficaces, alors que d’autres ne le sont pas. O. Houdé a mis au jour l’importance de la capacité d’inhibition, permettant aux enfants de résister aux automatismes qui conduisent à des erreurs de raisonnement. Pour lui, le défaut d’inhibition peut expliquer des difficultés d’apprentissage et d’adaptation tant cognitive que sociale. ●

À LIRE… 

• Apprendre à résister
Le Pommier, 2014.



François Dubet et Marie Duru-Bellat
Sociologues engagés

Depuis les années 1970, la sociologie de l’éducation affiche une grande vitalité.

• Le sociologue François Dubet est l’un des premiers à avoir donné à la sociologie de l’éducation un cadre théorique renouvelé. Dans À l’école. Sociologie de l’expérience scolaire, écrit en 1996 avec Danilo Martuccelli, il analysait la manière dont les élèves vivent ce qu’il appelle leur « expérience scolaire ».

Ce travail se poursuit sur trois livres , tous coécrits avec Marie-Claude Blais et Dominique Ottavi. Il relève de la philosophie politique en raison du profil atypique de M. Gauchet : ancien instituteur (diplômé de l’école normale de Caen, il a été instituteur), il a ensuite fait de la démocratie son principal objet de recherche. Ce double ancrage dans l’éducation et la philosophie politique l’a conduit à un postulat original : l’école a été conçue dès le départ comme un laboratoire de la démocratie ; c’est en son sein que sont testés avec le plus d’acuité les principaux dilemmes de ce régime : la relation entre l’individu et le collectif, la question de l’égalité, la place de la culture, la tension entre autorité et liberté, entre sphères privée et publique.