Après la génération « yé-yé » et « peace and love », voici venue la génération « internet ». Selon Médiamétrie (1) en effet, les 13-24 ans sont désormais les plus connectés de la population française. Au grand émoi de parents qui, s’ils ne sont pas eux-mêmes touchés par le « virus », voient mal ce que leurs enfants peuvent retirer de stations prolongées devant… une machine. D’un côté, les adultes admirent l’aptitude quasi innée des petits à manier le langage informatique. De l’autre, ils redoutent un média qui, tout en échappant en partie à leur contrôle, génère de nombreux discours alarmistes. Au rang desquels, le risque de repli sur soi et d’apparition d’un sentiment de solitude. Or des études (2) montrent qu’en moyenne, un adolescent de 12 ans passe 29 minutes par jour sur messagerie instantanée, plus que le temps qu’il consacre à visiter des sites et à surfer sur la toile (25 minutes). À ces 29 minutes, il faut ajouter les 20 minutes consacrées quotidiennement à l’écriture et l’envoi d’emails. Autrement dit, dans l’ordre des préoccupations liées à internet, les activités « solitaires » (recherches pour les devoirs, achats en ligne, jeux…) viendraient bien après le désir d’entretenir des relations ou de se faire des copains.
Pour Sylvie Octobre, chargée d’études au ministère de la Culture, les garçons et filles se définissent aujourd’hui davantage par leurs réseaux que par les loisirs qu’ils partagent avec leurs pairs (visite des musées, soirées au théâtre, parties de football…). Le Net incarne l’émergence d’un autre type de compétence relationnelle entre les jeunes, où « communiquer avec » compte désormais plus que « faire avec » (3). Dans ce processus de socialisation, l’étendue du réseau internet est un facteur « de bonne réputation », et donc d’estime de soi. Cette sociabilité virtuelle ne serait-elle pas un peu factice, comme pourraient le laisser supposer la brièveté et le caractère parfois anecdotique des échanges ?
Pour Annette Dumesnil (4), Internet ne se contente pas d’ouvrir les enfants sur une multiplicité de mondes, il modifie en positif l’« art de se rencontrer ». « Les jeunes ne se présentent plus, explique cette psychologue, en fonction de codes sociaux qui dans la vraie vie étiquettent immédiatement. Ils se présentent tels qu’ils se ressentent au moment où ils parlent. » Dans la vie « ordinaire », les copains sont souvent ceux du quartier, de la classe : nom, statut social, look, réussite scolaire, la sociabilisation est avant tout affaire de « reconnaissance ». Sur Internet, tout le monde est a priori sur un pied d’égalité. « J’aime », « J’aime pas », « Je pense que »… Les garçons et les filles ne sont plus déterminés par leur statut de « fils de… » ou « fille de… », mais d’abord par leurs goûts et leurs questionnements. Cette transformation dans la relation à l’autre accompagne la prise d’autonomie du jeune adolescent vis-à-vis de sa famille décrit par François de Singly dans Les Adonaissants (5). L’enfant s’affranchit en douceur du contrôle parental et se rapproche de la culture de sa génération.
Loin d’isoler les individus, Internet est aussi le moyen pour les jeunes de renforcer leurs réseaux de proximité. Au même titre que le téléphone et les SMS, les chats et les messageries instantanées permettent de communiquer avec les amis, la famille. Ainsi les discussions avec les copains se poursuivent souvent bien après l’école, elles participent à la construction du sentiment d’appartenance au groupe. Les très jeunes peuvent grâce à la messagerie entretenir des liens amicaux fréquents avec leurs amis tout en restant présents au domicile, et donc concilier leur besoin de sociabilité avec les attentes parentales (6). Posséder un ordinateur dans sa chambre constitue dès lors un véritable enjeu d’émancipation.
Internet favoriserait-il ceux qui possèdent au préalable un dense réseau relationnel, des aptitudes sociales évidentes ? Les études montrent que les adolescents qui déclarent ressentir quotidiennement à l’école un sentiment de solitude et/ou d’anxiété sociale sont plus enclins à se confier à un étranger qu’à un proche. Or sur Internet, débarrassé des conformismes et des préventions de la vie réelle, le jeune peut expérimenter sa relation à l’autre, par « essais et erreurs ». Un simple clic…, et le lien est rompu. Ce qu’il n’ose pas dire, même au meilleur ami, peut ici être exposé sans honte. Une recherche américaine (7) conclut, a fortiori, que l’utilisation modérée d’Internet a des retombées sociales positives au quotidien : elle encourage l’engagement dans la communauté, le sentiment de confiance dans l’autre et les affects positifs.
Doit-on voir au final dans Internet un nouvel outil de communication propre à la jeunesse ? Son appropriation par les enfants et les ados interroge, de façon générale, la place grandissante prise par les nouvelles technologies et l’écran dans la vie quotidienne. Certains voient dans cette culture de l’écran une « non-culture ». Pour d’autres, comme S. Octobre, c’est une véritable transformation du rapport juvénile au monde et à l’autre qui se joue.
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L'enfant du 21ème siècle
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