Comme tous les dirigeants, les cadres, les universitaires, les infirmières, les avocats, les fonctionnaires, les mères de famille et même les retraités, je suis débordé. Je croule sous les réunions, les rendez-vous, les projets en cours, les emails en retard, les urgences, les chantiers en suspens, les imprévus. Et comme tout le monde, je stresse le dimanche soir en pensant à l’avalanche de tâches qui m’attendent la semaine suivante. Comme tous, je papillonne, je saute d’une tâche à l’autre, je m’agace des dérangements, je m’énerve des imprévus, je culpabilise de mes retards ; je me maudis de ne m’y être pas pris plus tôt et promets de m’y prendre mieux la prochaine fois. Puis, la crise passée, je continue comme avant. Bref, je suis comme tout le monde.
Pourtant, de l’extérieur, rien n’y paraît. Je suis le genre de type dont on dit « mais comment fait-il pour tout faire ? » : diriger une entreprise, écrire des articles, des livres, tenir son blog, s’occuper de sa famille, faire du sport, de la musique, aller au cinéma, tondre la pelouse, voir des amis, faire les courses, lire des romans. Je trouve même le temps de flâner des heures devant la télévision ou sur Internet. Comment cela est-il possible ? En fait j’ai un secret : je me soigne. Mon remède pour lutter contre la dictature de l’urgence tient à quelques règles de vie acquises au fil du temps et de lectures édifiantes.
J’ai mis longtemps avant d’oser entrer dans une librairie pour acheter un manuel de gestion du temps. Mes résistances tenaient à quelques préventions tenaces. La première était la honte. Les livres de gestion du temps, rangés aux rayons « Développement personnel », ne sont guère fréquentables car intellectuellement illégitimes. Dans Le Philosophe nu (Seuil, 2010), Alexandre Jollien raconte qu’un jour il est arrivé à la caisse du libraire, un peu honteux, avec le livre Comment avoir un ventre plat glissé dans une pile entre un Spinoza et un livre sur Lucrèce. Je me souviens avoir éprouvé la même expérience avec ma première méthode de gestion du temps. La deuxième résistance tenait du scepticisme à l’égard de méthodes miracles qui prétendent vous changer en sept jours. Comme s’il était possible de se transformer en une semaine ! Mais la principale répulsion m’empêchant d’ouvrir ces manuels tenait à une autre raison plus fondamentale : la peur que ça marche !
Ne travailler que trois heures par jour
Optimisez votre emploi du temps, Bien gérer son temps, Soyez efficace…, tous ces titres semblent envoyer un message implicite : il faudrait être toujours « performant » et savoir « gérer » sa vie comme on gère une entreprise. Longtemps, j’ai interprété – à tort – ces titres comme une injonction à ne plus perdre une minute, à ne plus gaspiller ses journées, à « rentabiliser » son temps. Donc ne plus flâner, ne plus s’accorder des périodes de farniente, de rêveries… Quelle horreur et non merci ! Comme tout le monde, je ne souhaite pas être efficace : je veux être heureux !
Je m’étais trompé ! Quand j’ai ouvert le premier livre sur la gestion du temps (1), j’ai compris mon erreur. Le livre proposait de « ne travailler que trois heures par jour ! » L’auteur était un consultant américain, le genre de type qui affiche un large sourire, dirige trois sociétés, écrit des livres à succès, est marié à une délicieuse épouse, a trois enfants charmants, a visité le monde entier, fait de l’alpinisme et joue du saxophone avec un groupe d’amis musiciens… Le tout en ne travaillant que trois heures par jour !
Ce héros libéral rejoignait paradoxalement l’utopie anarchisante de Paul Lafargue, Bob Black et autres apôtres de la réduction massive du temps de travail (2). Avec un avantage notable : il pouvait en plus accomplir tous ses projets.