Il était une fois la vie...

D’Aristote aux recherches sur la génétique, la définition de la vie n’a cessé d’évoluer. L’historien des sciences Michel Morange explique pourquoi elle reste ouverte.

La vie est-ce seulement le contraire de la mort ?

La vie opposée à la mort, c’est la définition proposée par Bichat, au début du 19e siècle. Elle a eu beaucoup de succès mais elle a un inconvénient : elle ne définit pas la mort. Sans expliquer aucun des deux termes, on ne progresse pas beaucoup.

Cette dichotomie existe dès l’Antiquité sans être essentielle. Pour Aristote, l’auteur de référence, la vie, c’est la naissance, la croissance puis la mort. Elle s’inscrit dans un parcours, une dynamique, que l’on observe chez l’humain, chez l’animal mais aussi chez les plantes. La majorité des savants associent ainsi plantes et animaux autour du cycle de vie.

À cette époque, la frontière entre le vivant et le non-vivant semble claire, mais elle est poreuse. Un être vivant peut naître d’un matériau inerte, grâce à la fameuse génération spontanée 1*. Aristote y croit. La vie est une propriété de l’objet mais ne dépend pas de son origine.

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La différence entre le vivant et le non-vivant s’explique par la présence d’âmes. Aristote en considère trois : l’âme nutritive, commune aux plantes, aux animaux et aux humains, l’âme sensitive, qui n’existe que chez les animaux et les humains, et l’âme rationnelle, qui est propre à l’humain. Même si tous les auteurs ne conservent pas la distinction entre les trois âmes, cette idée perdure avec la tradition chrétienne. Jusqu’à la révolution scientifique 2*, menée par René Descartes et Galilée, c’est la présence d’une ou plusieurs âmes qui distingue les êtres vivants.

Au Moyen Âge, on considère que la vie peut exister en dehors des êtres vivants. Les alchimistes estiment, par exemple, que la Terre est vivante.

D’ailleurs le philosophe Michel Foucault se trompe lorsqu’il affirme, dans Les Mots et les Choses, que la notion de vie est apparue aux 18e et 19e siècles. C’est une simplification hardie, on le voit bien. Même si à la fin du 18e siècle, en effet, cette question est très discutée.

À quel moment cette définition évolue-t-elle ?

Le grand changement s’opère grâce aux positions de Descartes et Galilée. En France, on connaît le rôle de Descartes, mais on néglige celui de Galilée. Pourtant, ils s’inscrivent dans le même mouvement : les organismes vivants sont des machines, l’âme n’est pas nécessaire à la vie. Descartes estime néanmoins qu’il reste l’âme rationnelle. Il a la conviction profonde que l’être humain est différent des animaux. Il faut attendre le 18e siècle pour que des penseurs affirment que même l’homme n’est qu’une machine. C’est le cas de La Mettrie, auteur de L’Homme machine (1747).