Jean-Paul Sartre (1905/1980) - L'existence embarquée

Si, pour Sartre, nous devons nous engager dans la vie, ce n’est pas d’abord au nom de principes éthiques ou politiques, mais parce que nous sommes d’ores et déjà « embarqués ».

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Une philosophie est une manière de vivre, disait Pierre Hadot, quand elle s’exprime non seulement dans un discours théorique, mais dans un choix de vie. La tentation est pourtant très grande pour le philosophe – surtout de profession universitaire – de se contenter de son discours. Même les philosophes « existentialistes », qui s’intéressent justement aux choix de vie, n’échappent pas forcément à ce piège. En parlant d’une philosophie engagée sans vivre la philosophie comme un engagement, ils seraient « comme (ces gens) dans les opéras (...) qui chantent “Marchons, marchons”, ou “fuyons, fuyons” et qui ne bougent pas » (Philosophie comme manière de vivre).

La philosophie de Sartre serait coupable d’une telle dissonance ? Ne serait-elle qu’un opéra de l’existence sans engagement existentiel ?

Sartre préférerait sans doute une analogie théâtrale. L’existence humaine, ça ne se chante pas, ça se joue. Au théâtre, on sait qu’il n’y a pas de discours sans choix de l’acteur. Chaque geste – ou son absence – est porteur de sens. Même le mauvais comédien ou l’amateur fait des choix sur scène, sauf qu’il les fait par défaut ou malgré lui. On peut comprendre la philosophie de Sartre, même dans ses moments les plus théoriques, comme une sorte d’exercice visant à faire prendre conscience de notre situation d’acteur et non de spectateur. Sauf que pour nous, il n’y a pas de scénario. C’est de l’improvisation. Il y a une situation ; on entre in medias res. Les autres jouent déjà. D’autres regardent. Il faut inventer, se coordonner. S’il y a un metteur en scène et un public qui nous dirigent, rien ne nous oblige à les écouter. Nous avons des rôles, mais ils valent ce que nous y mettons. On doit faire avec et en faire quelque chose. Le problème est qu’au départ – et la plupart du temps –, on ne se rend pas compte. On a plutôt l’impression d’être des spectateurs. Prendre conscience de sa présence sur scène, c’est l’angoisse ! On cherche vite à se retirer dans le public, ou à suivre des consignes toutes faites.