L'âge des guerres irrégulières Entretien avec Gérard Chaliand

La plupart des conflits contemporains opposent des États forts à des États faibles ou illégaux. Mais ces derniers possèdent une arme puissante : leur motivation idéologique.

Vous êtes l’auteur d’un livre sur le conflit en Afghanistan intitulé L’Impasse afghane. Pensez-vous que ce type d’intervention, de l’Algérie à la Syrie en passant par l’Irak et l’Afghanistan, soit condamné à l’échec ?

Il faut d’abord constater une coupure entre l’époque de la guerre d’Algérie (1954-1962), celle du Viêtnam (1965-1973), et celle d’Irak et d’Afghanistan (à partir de 2001). Entre la fin de la guerre du Viêtnam et la première guerre d’Irak où une coalition, dirigée par les États-Unis, entendait déloger Saddam Hussein du Koweït (1991), on constate une mutation de la sensibilité occidentale que symbolise le slogan de « guerre zéro mort ». Celle-ci est envisagée comme digne de ce nom. En effet, la première coalition contre l’Irak est menée par voie aérienne, dure six semaines et se termine en quelques jours avant d’atteindre Bagdad. Et, pour la première fois dans l’histoire des batailles, on ne publie pas le nombre de soldats ennemis morts au combat : l’opinion publique occidentale aurait été choquée de la disproportion de celle-ci, sans doute 1 000 à 2 000 soldats irakiens pour un de la coalition. Ceci pose le problème de la dimension sociale de la stratégie. En fait, la mort est comme évacuée dans l’Occident d’aujourd’hui. Dans ces conditions, les guerres irrégulières menées sur le terrain sont de moins en moins praticables. L’opération coup de poing, les représailles aériennes ou l’action de troupes spéciales paraissent, avec les drones, devoir remplacer les engagements d’autrefois.