L'argent ne motive qu'à court terme Entretien avec Dan Ariely

L’économie comportementale décrypte les incitations 
qui orientent le plus souvent nos comportements 
de salariés ou de consommateurs.

Si nous étions toujours capables de prendre les décisions qui nous profitent, la vie serait plus simple. Mais rien ne prouve qu’elle serait meilleure. Depuis dix ans, Dan Ariely et ses collègues de l’économie comportementale découvrent que le souci de gagner de l’argent et d’en dépenser moins n’est pas le ressort de bon nombre de nos actes. En mettant le doigt sur nos comportements peu rationnels, mais prévisibles, ils en tirent les leçons : agiter une prime ne garantit pas l’ardeur au travail, acheter moins cher n’est pas toujours faire des économies, et les bons comptes ne font pas les bons amis.

Constater cela ne nous éclaire pas toujours sur les raisons profondes de nos actes, mais sur la diversité des incitations qui les déterminent. Un instrument qui peut servir aussi bien à se gouverner qu’à gouverner les autres…

Vous avez écrit que l’argent était « le moyen le plus coûteux de motiver les gens au travail ». Était-ce seulement une plaisanterie ?

Non, c’est une chose à laquelle je crois sincèrement. Bien sûr, tout le monde a besoin d’argent pour vivre, et on croit souvent que, pour obtenir un surcroît de travail, il suffit d’augmenter la rétribution correspondante. Mais cela ne fonctionne pas comme cela. Nous avons mené récemment une expérience chez Intel, le fabricant de processeurs, avec des intérimaires qui venaient faire un contrat de quatre jours, à raison de 12 heures par jour. Il y avait trois groupes : au premier, Intel offrait une prime de 24 dollars s’ils atteignaient un certain résultat au soir du premier jour. Au deuxième groupe, on offrait une part de pizza, et au troisième, un mot de félicitations du grand patron. Les jours suivants n’entraient pas dans le calcul de la gratification. Nous avons comparé les performances : le premier jour, tout le monde a atteint l’objectif. Mais dès le deuxième, ceux qui devaient recevoir la prime ont réduit leurs performances de 20 %. Ceux qui s’étaient vus promettre la pizza ou le mot du patron ont maintenu leur cadence, même s’ils l’ont progressivement ralentie au fil des jours. Ce qui voulait dire que l’argent pouvait inciter les gens à un effort ponctuel, mais non global. Tandis que la récompense en nature ou même symbolique était associée à un effort plus durable.