Nous aimons croire à notre propre rationalité et pourtant, au quotidien, nous n’en faisons pas si souvent preuve. Pour cela, nul besoin d’être influencé par les autres : les mauvais choix que nous faisons alors que tout nous indique de rebrousser chemin, les fois où nous restons sur nos positions face aux arguments solides de l’interlocuteur, où nous jugeons hâtivement, et à tort, quelque chose ou quelqu’un… tout cela, nous y parvenons tout seuls, et très bien ! Mais qu’est-ce qui nous engage à maintenir et reproduire ces comportements irrationnels, inefficaces, voire contre-productifs ? Bien sûr, notre cerveau conservant des traces de son évolution, des régions ancestrales, liées à la survie puis aux émotions, interviennent parfois dans ces comportements irrationnels. Mais la réalité est plus complexe, et se joue sur plusieurs niveaux avec à la fois des facteurs intrinsèques (biologiques et sociaux), et des facteurs extrinsèques, dont la nature peut être assez surprenante…
Pour comprendre, il faut replacer les choses dans leur contexte : dans nos sociétés modernes, nous sommes amenés à prendre continuellement des décisions tout en étant bombardés par une multitude d’informations. Or, les processus de décision rationnelle sont lents, coûteux en énergie, et donc insuffisants à eux seuls pour pouvoir suivre la cadence. Il nous faut ainsi pouvoir prendre de nombreuses décisions rapidement, inconsciemment et automatiquement, et quelques autres, de façon plus réfléchie et plus consciente. Ce concept de système lent/système rapide est actuellement popularisé par le psychologue et prix Nobel d’économie Daniel Kahneman, dans son best-seller Système 1/Système 2. Les deux vitesses de la pensée (2012). Il y explique comment, par principe d’économie, notre système 1 (automatique, intuitif et relativement inconscient) se charge de la plupart de nos décisions. Le système 2 (analytique et conscient) est plus rarement utilisé, uniquement dans les situations nouvelles ou dans lesquelles un comportement automatique ne suffit pas. Notre système 1 dépend énormément de l’expérience et des associations entre stimulus et feed-back que nous avons rencontrées au cours du temps. Il fonctionne ainsi par association et analogie, ce qui lui permet de comprendre le monde rapidement, sans devoir tenir compte de toutes les informations présentes. En résumé, notre cerveau préférera toujours l’option du moindre effort, car elle se révèle efficace pour la plupart des choix simples. Le problème, c’est que ce mode automatique est très facile à duper, notamment par des biais cognitifs, étudiés par le même D. Kahneman dès les années 1970 avec son collègue Amos Tversky.