L'attachement au c½ur des apprentissages - Entretien avec Boris Cyrulnik

Un attachement de qualité favorise le développement intellectuel. Et ce n’est pas seulement aux parents de sécuriser l’enfant : les enseignants, et l’école en général, ont leur rôle à jouer.

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À la faveur des Assises de la maternelle qu’il a organisées en mars 2018, Boris Cyrulnik prône un meilleur accompagnement des enfants avant même l’acquisition du langage, une formation revue et corrigée des professeurs des écoles maternelles et des atsem, et des enseignements davantage propices à diverses formes d’intelligence. Ce qui suppose selon lui une volonté politique, des moyens financiers, mais aussi une meilleure diffusion des théories de l’attachement.

Quelle est l’idée reçue la plus néfaste à propos de l’intelligence des enfants ?

« C’est une bonne tête, ça rentre bien ! » Voilà l’idée reçue la plus toxique. Car l’intelligence est une qualité relationnelle, pas cérébrale. Un déficit cérébral peut certes provoquer des troubles de l’intelligence (en cas d’encéphalopathie, de maladie génétique, de méningite…), mais, dans l’immense majorité des situations, la performance intellectuelle dépend des relations avec la famille d’abord, l’école ensuite, et de la qualité de l’attachement acquis par l’enfant.

Comment la qualité de l’attachement influe-t-elle sur l’intelligence ?

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Le premier jour de crèche ou de scolarisation sera bien vécu par deux enfants sur trois, qui vont considérer l’expérience comme un peu stressante, mais finalement amusante. Ce sera plus difficile pour les autres, qui ne vont pas aimer l’école parce qu’ils ont acquis une vulnérabilité neuroémotionnelle du fait de leur environnement marqué par le conflit conjugal, la précarité sociale rendant les parents indisponibles, ou le malheur de la mère (et pas la mère elle-même, je le souligne).

Ceux qui, souvent dès l’âge de 10 mois, ont développé un attachement sécure, ont davantage de chances de réussir à l’école. Beaucoup de langues distinguent « sécure » et « sécurisé », mais pas le français. « Sécurisé », c’est quand j’ai besoin que ma figure d’attachement soit près de moi ; « sécure », c’est lorsque ma figure d’attachement est inscrite dans ma mémoire biologique quand bien même elle se trouve physiquement absente, et que mon style affectif se trouve orienté vers les autres. La langue française n’ayant pas prévu cette distinction, l’anglicisme s’est imposé. Et s’est même francisé, tant il apparaît dans de multiples publications, avec un accent aigu.

Parmi les enfants qui n’ont pas pu développer un attachement sécure, quelques-uns vont considérer l’école comme un havre les protégeant du malheur familial. Ils vont alors très rapidement rattraper leur retard et rejoindre la cohorte des enfants sécures. Mais d’autres vont vivre leur premier jour comme un petit syndrome psychotraumatique avec énurésie, ou encoprésie, refus alimentaire, cauchemars, troubles du sommeil, agressivité… Ce traumatisme va s’inscrire en eux au sens biologique du terme, laisser une empreinte dans leur mémoire et engendrer une peur de l’école et des adultes. Ils vont alors alimenter la population des enfants qui pourrissent l’ambiance d’une classe… Mais tout cela est résiliable si l’on aide les parents à acquérir de meilleurs modes de communication. C’est le premier des trois axes sur lequel je propose à l’État d’intervenir, suite aux Assises de la maternelle que j’ai organisées en mars 2018.