L'intelligence à l'école

L'intelligence en tant que faculté de résolution de problème est, selon l'auteur, trop rarement sollicitée à l'école. Tout apprentissage est le fruit d'une démarche intellectuelle qui part d'un questionnement concret. Les situations pédagogiques font trop souvent abstraction de ce postulat de base.

Sans un mot, surprise oblige, le jeune professeur a distribué des feuilles A4 à ses élèves de 6e.

- « Pliez cette feuille en deux, n'importe comment ! »

Les élèves plient.

- « Pliez une seconde fois en mettant les bases bord à bord ! »

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Les élèves replient.

- « Dépliez et observez les lignes obtenues ! »

Les élèves déplient. Et observent.

- « Repliez le tout : qu'obtenez-vous ? »

Les élèves replient. Et obtiennent.

- « Qu'avez-vous obtenu ? »

Silence. Silence insupportable pour l'enseignant.

- « Une équerre, vous ne voyez donc pas !!! Et à l'intérieur - redépliez ! - les lignes se coupent comment ? Comment ? A angle droit !!! »

Moment de joie intense de la part du professeur. De lui tout seul. Plus tard, en discussion avec des collègues, il cédera au découragement : il n'a décelé aucun signe de compréhension chez ses élèves. Et pourtant, il s'en est donné du mal pour leur faire découvrir par eux-mêmes, grâce à une méthode active, que l'équerre est à angle droit. Et si ces élèves manquaient d'intelligence ? L'idée ne lui vient pas que, loin de solliciter leur intelligence, il lui a même en ce cas précis fait barrage. Et on ne peut lui en tenir rigueur : il n'y a dans les concours qui mènent au professorat aucune épreuve ni de psychologie, ni de sociologie, pas même de pédagogie générale. Alors, l'intelligence, certains même ne savent pas trop comment la définir.

Celle-ci est pourtant une qualité reconnue et admirée par tous, et plus encore peut-être par l'école elle-même. Mais paradoxalement, elle ne fait en classe l'objet d'aucune préoccupation spéciale. Nous ne parlerons pas d'une certaine idée à laquelle les enseignants, lorsqu'ils sont découragés, n'échappent pas toujours : à savoir que l'intelligence est innée et que donc on n'y peut pas grand-chose. Nous examinerons plutôt cette idée qui traîne toujours dans notre système éducatif : c'est par l'acquisition d'un maximum de connaissances que naît et se développe « naturellement » l'intelligence, idée qui perdure depuis des siècles, depuis la scolastique qui assénait le savoir en quantité, jusqu'au encore actuel béhaviorisme, qui pense que l'esprit est modelé par l'imprégnation de l'environnement. Apprenons donc pour apprendre ! Le reste viendra ensuite tout seul. Peut-être. Plus ou moins bien...

Nous avons affaire ici à une conception de l'intelligence subordonnée à la connaissance, c'est-à-dire considérée comme faculté seconde, simple organisatrice et classificatrice du savoir (tout le monde reconnaît en effet que des connaissances brutes qui seraient empilées telles quelles n'auraient aucune signification). Dans cette perspective, il est effectivement bien difficile de préciser ce qu'est l'intelligence : faculté de classification certes, mais au-delà, de compréhension, d'invention, de jugement, de logique, de création, d'adaptation même, et de connaissance bien sûr. Toutes les qualifications abondent et l'on comprend l'embarras de ceux qui n'arrivent pas à la définir.

« Toute leçon doit être une réponse »

C'est le grand mouvement de pédagogie nouvelle du début du siècle 1 qui va amener psychologues et pédagogues à analyser d'un peu plus près cette intelligence. Dewey, déjà, avait lancé sa formule célèbre: « Toute leçon doit être une réponse »; mais lui ne s'attachait alors qu'à la question de l'intérêt et de la motivation. Sa formule, pourtant, allait en mettre d'autres sur la voie. Celui qui mettra une bonne fois pour toutes les points sur les i sera le psychologue Edouard Claparède qui renversa la vapeur. Non ce n'est pas l'intelligence qui est au service des connaissances, mais les connaissances au service de l'intelligence 2. Voici donc cette dernière promue faculté première, et enfin définie clairement par sa fonctionnalité : « L'intelligence est faculté de résoudre les problèmes. » C'est là en fait une définition qui fait toujours l'unanimité.