En 1999, Luc Boltanski et Ève Chiapello publient Le Nouvel Esprit du capitalisme, ouvrage qui allait faire date en sociologie. Le titre choisi était une référence évidente à L’Éthique protestante et l’Esprit du capitalismede Max Weber (1905). Dans ce livre, le sociologue allemand soutenait que l’essor du capitalisme ne serait pas développé, ou pas de la même manière, sans l’assise d’une éthique particulière, la morale protestante : une éthique rigoriste, fondée sur l’ascèse au travail, le culte de l’effort et l’organisation méthodique des tâches.
Une barbarie douce
Selon les auteurs du Nouvel Esprit du capitalisme, mœurs et valeurs avaient changé après 1968. L’essor de l’individualisme, l’aspiration à la liberté, l’autonomie et le rejet des hiérarchies avaient ébranlé l’ordre culturel dominant. Le capitalisme avait fini par s’adapter à ces nouvelles aspirations en les récupérant à son compte 1. Une nouvelle forme de management s’était imposée dans les entreprises. À la place des chaînes de commandement autoritaires et pyramidales se sont mis en place des dispositifs d’organisation du travail invitant à la responsabilité et à l’autonomie des salariés. Désormais, pour se rendre plus performant, le management se devait d’être épanouissant et d’accorder de l’attention aux motivations des salariés.
Les valeurs d’épanouissement personnel et de liberté mises au service de la performance de l’entreprise ? Dominer les salariés avec leur assentiment et leur aveuglement ? Le modèle suprême de la soumission volontaire semblait réalisé.