Depuis le début des années 1990, la conscience est devenue un domaine d’étude très prolifique où recherches et théories pullulent : troubles de la conscience, mécanisme de l’attention, liens décisions conscientes/inconscientes, etc. Dans ce corpus, on commence à y voir un peu plus clair sur ce mystère : qu’est-ce que la conscience ? Quand est-elle apparue ? Quelles sont ses bases neurobiologiques ? Et à quoi sert-elle ?
Qu’est-ce que la conscience ?
D’abord, il faut s’entendre sur les mots, ce qui est déjà un exercice périlleux tant le vocabulaire a longtemps fluctué d’un auteur à l’autre. Les uns identifiant la conscience à la subjectivité (le fait de ressentir les choses), d’autres à la conscience de soi (le fait de sentir son corps), d’autres encore à la conscience réflexive (le fait d’observer ses propres pensées et actions). Depuis quelques années, il y a tout de même une clarification conceptuelle 1. La plupart des auteurs s’accordent par exemple pour distinguer la conscience primaire de la conscience réflexive. La conscience primaire renvoie tout simplement au fait de ressentir quelque chose : le goût du chocolat, la chaleur, la douleur ; les philosophes de la conscience phénoménale appellent « qualia » les impressions subjectives qui émanent du monde extérieur. Sur la plage, les qualia correspondent à la chaleur du soleil telle que je la sens sur ma peau, au goût du sel dans ma bouche. Cette conscience primaire a plusieurs caractéristiques. Elle est d’abord reliée à l’attention : si, allongé sur la plage, je me plonge dans la lecture d’un roman, très vite le bruit des vagues va sortir de mon champ de conscience ; je ne l’entends plus même si les ondes sonores continuent à entrer dans mes oreilles et leur écho à se propager dans les méandres de mes neurones. Cette information continue à être traitée hors de ma conscience, même si je me trouve plongé dans mon roman. Mais qu’un bruit anormal me parvienne aux oreilles, une vague plus bruyante que les autres par exemple, et, immédiatement, mon attention est sollicitée et ma conscience focalisée sur ce bruit. En même temps, le cours de ma lecture s’interrompt. Et c’est la seconde caractéristique de la conscience : elle ne cesse de sauter d’un centre d’intérêt à un autre. William James a parlé de « flot de conscience » pour exprimer ce mouvement incessant de la pensée qui bondit en permanence d’un sujet de préoccupation à un autre.
Théorie de la sélection des groupes de neurones
Pour le professeur Gerald Edelman, prix Nobel de médecine 1972 (l’un des premiers à proposer une « biologie de la conscience »), les humains ne sont pas les seuls à disposer de conscience primaire 2. Celle-ci appartient à la plupart des animaux dotés d’organes sensoriels sophistiqués et d’un cerveau complexe. Elle remonte donc loin dans l’évolution, bien avant l’apparition du langage ou de la conscience réflexive qui, eux, sont propres aux humains. Les mammifères, les oiseaux, les reptiles, les poissons en sont sans doute dotés.