La lente reconnaissance des affects au travail

Dans le monde professionnel, les émotions peuvent être bénéfiques : elles motivent, aident à s’orienter et apportent de l’empathie.

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Les émotions ont longtemps été conçues comme un grain de sable dans la belle machine du taylorisme 1, du rationalisme bureaucratique 2 ou du capitalisme productiviste et gestionnaire. Selon une pensée dualiste et manichéenne, les émotions s’opposent à la raison et sont négativement connotées, associées à la perte de temps, à l’erreur, au risque, au désordre. Elles empêcheraient le professionnalisme (on pense volontiers qu’être ému, ce n’est pas « pro ») et mèneraient à l’arbitraire, contrevenant au principe d’égalité de traitement aussi bien qu’à la standardisation et la formalisation des pratiques. L’idéologie rationaliste enjoint donc à se méfier des émotions, à les contrôler et à les laisser aux portes de l’entreprise, dans la sphère privée.

La « bonne distance »

Les cadres et dirigeants, par exemple, sont incités à mettre de côté leurs états d’âme. Cela commence dès leurs formations, qui visent à ce qu’ils ne s’aventurent pas à questionner les objectifs, les moyens ou les effets de leurs actions. Cela fait l’économie de conflits moraux, mais cela peut conduire à des décisions et des comportements absurdes, brutaux, voire « inhumains ». Cette éviction des émotions concerne tous les secteurs. Les médecins doivent rester de marbre. Les assistantes maternelles, comme les éducateurs et éducatrices spécialisés qui exercent en foyer d’accueil, se voient prescrire de ne pas embrasser les enfants, ni même de s’attacher ou créer des liens privilégiés. Il faudrait être dans « la bonne distance »… tandis qu’il n’est jamais question de « bonne proximité » !