Dans De l'origine des espèces (1859), Charles Darwin s'était bien gardé d'évoquer l'évolution de l'espèce humaine. Il s'agissait de ne pas heurter de front les conceptions de l'Eglise, même si tout esprit conséquent pouvait en conclure que l'apparition de l'homme n'avait pas dû échapper à la même logique que celle qui règle l'évolution des pinsons ou des tortues des îles Galapagos.
Aujourd'hui, rares sont ceux qui remettent en cause le principe de l'évolution. Mais l'espèce humaine reste au sein des sciences humaines un domaine réservé où l'application des principes de l'évolution devrait être circonscrite à quelques éléments du passé. Certes, l'évolution nous aurait dotés de deux jambes, adaptées à la marche bipède, de deux mains multi-usages, et d'un gros cerveau ouvert à des tas de potentialités. Pour le reste, la culture aurait pris le relais. Le règne de la culture, du langage, de l'expérience, de la société répondrait à ses lois propres et ne serait que marginalement affecté par la dynamique de l'évolution, de la sélection naturelle. Arrivés là, biologistes, éthologistes et spécialistes de l'évolution devraient laisser la parole aux anthropologues, sociologues, psychologues, etc., bref aux sciences humaines.
Ce n'est pas le postulat qui préside à la rédaction de l'ouvrage de Robert Boyd et Joan Silk, tous deux anthropologues à l'université de Californie. Les auteurs veulent appliquer la logique de l'évolution non seulement à l'anatomie humaine mais aussi à la vie sociale ou encore aux formes d'intelligence.
Pour cela, ils commencent par rappeler les principes du darwinisme dans sa version actuelle : celle de la « théorie synthétique de l'évolution ». Darwin voyait dans la sélection naturelle le mécanisme central de transformation des espèces. Au sein de chaque espèce, les individus se distinguent par de légères variations (forme du bec, couleur des plumes, forme du nid chez les oiseaux). Certaines de ces variations sont avantageuses et d'autres non. Par exemple, une ouïe plus aiguë favorisera la détection d'un prédateur. Les individus dotés de cette meilleure audition auront plus de chances de survie. Ils vont alors transmettre à leurs descendants leur caractère héréditaire. Au fil du temps, de nouvelles morphologies, de nouvelles aptitudes, de nouveaux comportements, et donc de nouvelles espèces, vont ainsi apparaître. C'est ainsi que sont apparus des rats à l'ouïe très fine, des antilopes rapides à la course, des éléphants à la forte corpulence, des singes rusés, chaque espèce ayant développé des caractères adaptés à tel ou tel environnement. A l'époque de Darwin, les mécanismes de l'hérédité étaient inconnus. Il a donc fallu attendre l'apparition de la génétique, au début du xxe siècle, pour que l'on tente une synthèse entre darwinisme et génétique, d'où est née la théorie synthétique de l'évolution.