Vénus dans le cloître ou La Religieuse en chemise est un des grands classiques du roman clandestin. Publié de manière anonyme en 1683, il circule sous le manteau durant tout le 18e siècle, constamment réédité, transformé et repris, parfois même sous d’autres titres comme Le Triomphe des religieuses, La Nonne éclairée ou les Délices du cloître… Dans sa première version, il est attribué à Chavigny de La Bretonnière, né en 1652, entré en religion à 18 ans, enfuit du couvent dix ans plus tard, installé en Hollande, auteur de plusieurs romans et de pamphlets politiques entre 1681 et 1685, puis soudainement enlevé par la police de Louis XIV et enfermé pour le restant de ses jours, les vingt années suivantes, dans une cage de bois de l’horrible prison du Mont Saint-Michel 1.
Du plaisir à la morale
À mille lieues de cette sombre fin, le texte met en scène de réjouissants entretiens érotico-philosophiques. Dans le premier entretien, à la faveur de la nuit, deux religieuses se retrouvent dans la même cellule et se donnent bien du plaisir. Une fois les désirs satisfaits et les premiers émois passés, la plus novice s’inquiète pour le salut de son âme. Du point de vue religieux, en effet, le plaisir charnel est condamnable, et à plus forte raison entre deux femmes. Aussi la plus expérimentée doit-elle, pour rassurer la première, remettre en question les préjugés catholiques et les superstitions religieuses. La discussion porte alors sur les commandements divins et sur la nature : Dieu peut-il condamner ce qui est dans la nature ? Il a créé les corps, le plaisir, la vie : a-t-il pu vouloir le célibat et l’enfermement conventuel ? Le dialogue porte également sur la morale : la morale doit-elle venir des idées mortifères des prêtres ou doit-elle être fondée dans la nature humaine et dans les interactions humaines ? Il porte enfin sur la politique : pourquoi tant de jeunes filles sont-elles enfermées à vie dans des couvents, sinon pour arranger les affaires des familles qui veulent éviter de disperser leur patrimoine ?