La révolution sexuelle a-t-elle eu lieu ?

Les années 1970 ont fait tomber des tabous anciens en matière de sexualité. C’est ce que montrent la diversification des pratiques et la liberté des discours et des images. Pour autant, la révolution sexuelle a-t-elle vraiment libéré les générations suivantes ?

Les années 1960 ont profondément inscrit leur marque dans l’histoire des sociétés occidentales. Lors de cette période qui concentre contestations d’ordre moral, politique et économique, les spécialistes s’accordent à pointer une révolution historique en matière de sexualité. 1968 en constitue certes le point d’orgue. Alors que des philosophes comme Félix Guattari recommandent de « libérer le désir », les étudiants des mouvements de mai ont pour slogan de « faire l’amour, pas la guerre », de « jouir sans entraves ». Un auteur libertaire proche du mouvement situationniste comme Raoul Vaneigem, dans son Traité de savoir-vivre à l’usage des jeunes générations (1967), prône « un déchaînement des plaisirs sans restriction ». Cette année-là, la première génération des baby-boomers a 20 ans ; ses maîtres à penser sont aussi bien, hormis les marxistes, les antipsychiatres qui recommandent la « mort de la famille » (Ronald Laing et David Cooper), des penseurs comme Herbert Marcuse (Éros et civilisation) et Wilhelm Reich (La Révolution sexuelle) qui font des pulsions sexuelles le moteur de l’émancipation humaine, des féministes américaines qui dénoncent l’asymétrie des rapports de sexe, des auteurs comme Margaret Mead qui font miroiter l’idée que, dans les îles du Pacifique, la liberté des mœurs règne dès le jeune âge.

 

Une lame de fond libertine

« Aimons, foutons, ce sont des plaisirs
Qu’il ne faut pas que l’on sépare;
La jouissance et les désirs
Sont ce que l’âme a de plus rare »,

écrivait le respectable fabuliste Jean de la Fontaine dans ses Contes licencieux… Si les poussées libertines n’ont pas attendu le XXe siècle pour se manifester et secouer le carcan des valeurs morales et religieuses dans lequel fut longtemps enfermée la sexualité du monde occidental, elles étaient toujours restées cantonnées à des petits groupes marginaux. À partir des années 1950, avec l’avènement de la culture de masse, c’est une véritable lame de fond qui va faire tomber des tabous millénaires. Du scandaleux rapport Kinsey à la diffusion de romans sulfureux comme le Lolita de Vladimir Nabokov (1955), ou le Tropique du Cancer d’Henry Miller (1934, interdit aux États-Unis jusqu’aux années 1960), en passant par le succès d’un cinéma qui exhibe les corps nus et sensuels d’une Brigitte Bardot (Et Dieu créa la femme, 1956) ou d’une Marylin Monroe, la littérature, le cinéma sont bientôt relayés par les magazines ou les émissions de radios où l’on débat librement de pratiques sexuelles… Les seins se donnent à voir sur les plages et les pelouses. Des communautés où se pratique l’amour libre fleurissent et les militantismes – féministe et homosexuel – sont dans leur phase la plus active.