Vous avez étudié 500 déclarations de Jean-Marie et Marine Le Pen sur un quart de siècle. Pouvez-vous rappeler vos principales observations ?
La conclusion essentielle est l’extraordinaire continuité entre les discours du père et de la fille sur le programme et les thématiques, et la subtilité des inflexions essentiellement stylistiques que Marine Le Pen a fait subir à ce fonds commun. En résumé : M. Le Pen change les mots, pas les idées du Front national. Contrairement aux autres partis, on constate au Front national une très grande pérennité de la vision du monde, des axes programmatiques, des mots-clés prioritaires et même des phrases entières. M. Le Pen hérite de son père des « lieux communs », au sens rhétorique du terme, mais elle en modernise le vocabulaire (« déclin » plutôt que « décadence », « cultures » plutôt que « races »), et élimine les énoncés les plus répulsifs (les clichés antisémites et le racisme biologique). Dans les interviews pour un large public, ce toilettage lexical s’accompagne d’une reformulation, de l’argumentaire anti-immigration en une bataille pour la laïcité et pour l’emploi. Nous nous trouvons face à un « double discours » au sens où se superposent une version « light », politiquement correcte à destination des médias de grande écoute, et la version traditionnelle du Front national pour les discours aux militants.