Le cerveau, totem du IIIe millénaire

L’essor des techniques d’imagerie, à la fin du XXe siècle, 
a propulsé le cerveau sur le devant de la scène scientifique. 
Mais son exploration fascine depuis l’Antiquité.

Le cerveau est consacré comme l’organe de la pensée à partir de la Grèce antique. Hippocrate (env. 460-376 av. J.‑C.) en est le principal artisan, construisant une médecine fondée sur l’observation qui tente d’évacuer nombre de superstitions et condamne les charlatans. Ses successeurs (Hérophile, Érasistrate), autorisés à pratiquer à Alexandrie la dissection humaine, contribuent à étendre son influence. Galien (env. 131-201), venu de Pergame à Rome, restera avec Hippocrate, qu’il respecte, la référence médicale des siècles suivants, où les thèses de la médecine chrétienne accréditeront l’hypothèse de la localisation de l’âme dans les ventricules cérébraux. Partant de dissections animales, Galien a le tort de calquer ses observations sur l’anatomie humaine dans un principe de généralisation abusive. Cependant, il confirme que le cerveau est bien l’organe de la pensée, que c’est sa substance même, et non les ventricules, qui constitue le réceptacle des fonctions cognitives.

C’est seulement à la Renaissance que les dissections reprennent, en particulier en Italie, où un jeune professeur d’origine flamande, André Vésale (1514-1564), va rénover fondamentalement l’approche de la dissection anatomique humaine, la pratiquant lui-même, corrigeant bien des erreurs de Galien. Si l’époque de la Renaissance est riche de bien d’autres originalités qui apportent des contributions notables à l’étude du cerveau, le poids du religieux inquisiteur reste néanmoins un obstacle aux idées nouvelles.

 

Électricité et magnétisme

Deux personnalités presque contemporaines, René Descartes (1596-1650) en France et Thomas Willis (1621-1675) en Angleterre, abordent ensuite le cerveau avec une vision originale, plus physiopathologique*. Chez Descartes, qui n’est pas médecin, le philosophe domine le scientifique.

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L’un des premiers à concevoir les réflexes, il cherche surtout à dissocier les fonctions du corps et de l’âme et propose que la pinéale, une petite glande située près du cervelet, soit le lieu de convergence de toutes les influences de l’âme sur le corps. Contrairement à Descartes, T. Willis peut être considéré comme l’un des premiers physiologistes du cerveau, dont il a cherché à comprendre l’organisation fonctionnelle et hiérarchisée en différentes parties. Willis réfute les idées de Descartes, qui dénie aux animaux toute capacité cognitive dont l’homme seul serait le dépositaire. Il est aussi l’un des premiers à consacrer ses observations aux maladies neuropsychiatriques, et à concevoir les prémices de la psychologie.

Après la description de la circulation du sang par William Harvey (1578-1657) en 1628, il est surtout question de comprendre comment se transmettent les messages au cerveau à partir des organes des sens, puis comment le cerveau les redistribue aux muscles par les nerfs. Les « esprits animaux », qui sont censés circuler dans des tubes creux, se transforment alors en « fluide nerveux », mais personne ne peut confirmer les affirmations de Galien selon lesquelles les nerfs seraient creux et remplis de liquide. L’évolution des idées et des techniques de l’époque, avec l’avènement de l’électricité, donne à la recherche un nouvel élan au XVIIIe siècle. Après vingt ans de travaux menés à Bologne, Luigi Galvani (1737-1798) fait l’hypothèse, en 1791, que le fluide nerveux, produit par le cerveau, se transmet aux nerfs où l’électricité, conservée par une gaine isolante, est stockée dans les muscles. Leur contraction s’accompagne d’un phénomène de décharge. Parallèlement à la découverte de cette électricité « animale », on voit naître, avec les propriétés de l’aimant, le concept de magnétisme animal promu par le viennois Franz Anton Mesmer (1734-1815). Celui-ci obtient les faveurs du grand public qui préfère se faire « magnétiser » qu’« électriser ». Mais contrairement à l’électricité animale, le magnétisme n’éclaire en rien la physiologie cérébrale, si ce n’est qu’il ouvre la porte aux mondes de l’hypnose et de la psychologie.