Le « confucianisme » a-t-il existé ? Non, si l’on en croit les histoires chinoises de la pensée. Elles nous rapportent que depuis 2 500 ans, une philosophie morale et politique a développé son emprise sur la Chine, en un premier temps, puis sur les terres et les peuples ayant appartenu au « monde sinisé » (Corée, Japon, Asie du Sud-Est…). Les Chinois ont alors parlé d’école des lettrés, Rujia, appellation qui est en soi tout un programme, mais comporte sa part de réduction, tant elle en oblitère la dimension universaliste. Car le terme confucianisme est une invention occidentale. Ce qui compte en cette doctrine n’est pas tant la référence à Confucius que l’application en actes et en pensée d’une série d’options morales qui ont fini par faire système et qui, de surcroît, sont devenues les références officielles de l’Empire après sa fondation au 3e siècle avant notre ère.
La personne de Confucius, dès lors qu’un culte national lui a été rendu, peu avant le début de notre ère, fait question, dans la mesure où son hagiographie s’apparente plus à une vie de saint qu’à une biographie crédible. Comme celle d’autres personnages fondateurs de doctrine (on songe à Lao zi et au taoïsme), il est connu par une série d’événements dramatiques dont il sort toujours vainqueur, sinon indemne (voir encadré ci-dessous). Cet aspect des choses ne présente pas, à nos yeux du moins, une importance majeure, car l’essentiel réside dans les propos qu’on prête au maître, qui forment un enseignement entièrement oral. Celui-ci est, pour sa plus grande part, contenu dans un ouvrage, anonyme mais bref, rédigé par ses disciples après sa mort et qui porte le titre générique d’Entretiens, Lunyu. Son analyse révèle une compilation tardive de textes d’origines diverses issus des notes prises par les adeptes en question au cours de pérégrinations dans la Chine antique de la fin du 4e siècle avant notre ère.
L’histoire de la pensée du Maître et de ses héritiers bascule lorsque l’empereur de la dynastie Han décide, à la fin du 2e siècle avant notre ère, de faire de cet enseignement la doctrine officielle de l’État et de ses serviteurs de cour. Dès lors, ses préceptes deviennent ceux du pays entier, toutes classes sociales confondues, jusqu’à la chute de l’Empire, au début du 20e siècle. Cette osmose entre l’homme, la doctrine, le pays et le peuple fut telle qu’aujourd’hui encore, on peut dire que la Chine est Confucius et que Confucius est la Chine. Toutefois, cette assimilation hâtive recouvre-t-elle toujours une réalité ou n’est-elle après tout qu’une incantation simplificatrice ? À la question « que reste-t-il de Confucius de nos jours ? », on peut en substituer une autre : « Que veut-on qu’il demeure de Confucius aujourd’hui, et pourquoi ? »
Origines d’une pensée
Quand naît Kong zi, « maître Kong » (Confucius, - 551/- 479) 1, la Chine est un vaste pays composé de nombreuses principautés censément placées sous l’autorité d’un roi de la dynastie des Zhou, dominant le paysage politique et religieux depuis le 9e siècle avant notre ère. Mais ce pouvoir est plus symbolique que réel, les seigneurs cherchant à imposer la puissance de leur État respectif, sans grand souci de la morale supposée mise en pratique au début de la dynastie. Le sentiment dominant est celui d’une déchéance globale qui frapperait la vie sociopolitique et les pratiques éthiques des grands de ce monde comme des populations. Confucius voit le jour, grandit, puis sert son prince – et quelques autres – dans l’État de Lu, dans le Shandong actuel, qui compte parmi les importantes principautés du temps. Lu restera d’ailleurs jusqu’à nos jours la contrée qui symbolise l’excellence lettrée et les vertus d’élégance et d’altruisme qui s’y rattachent.