Le renouveau de l'engagement intellectuel

Opposés à la fragmentation du social, à la globalisation des économies, à la banalisation du mal, au règne de la pensée unique, à la dictature du libéralisme absolu... les nouveaux intellectuels se veulent à la fois penseurs et acteurs du réveil de la société civile.

On ne saurait évoquer le renouveau de l'engagement intellectuel sans le relier au contexte historique dans lequel il s'inscrit : si « l'ère du vide » a marqué les quinze précédentes années, le milieu des années 90 voit s'élaborer de nouvelles formes de mobilisation et d'action sociales : renforcement du tiers-secteur associatif, affirmation des mouvements de « sans » (logement, emploi, papiers), constitution de diverses mobilisations morales dirigées contre le Front national ou les lois Debré, grèves de décembre 1995, protestations contre l'épuration ethnique en Bosnie. Ajoutons à cela les mouvements de lycéens et les débats émergents dans les médias, autour de la bioéthique ou de la parité femmes/ hommes. Autant de mouvements collectifs constituants qui se présentent comme une réaction aux effets dévastateurs de deux processus historiques à l'oeuvre, opposés et complémentaires : la fameuse globalisation techno-économique, et son corollaire, l'extrême fragmentation culturelle du monde. Devant cet enjeu, et dans le prolongement du réveil de la société civile, on peut envisager trois modes d'engagement des intellectuels.

La croisade républicaniste

La première réponse intellectuelle est une affirmation forte de l'urgente nécessité d'en revenir au primat du Politique, avec un grand P : 1989 (avec le bicentenaire de la Révolution française, et plus encore, avec l'affaire du foulard islamique) sonne le grand réveil de la thématique républicaniste.

Un certain nombre d'intellectuels, sous la houlette de Régis Debray et dans le prolongement de son article désormais célèbre « Etes-vous démocrate ou républicain ? » 1, se mobilisent pour défendre haut et fort les valeurs de la République. Ils commencent par exiger une séparation stricte entre sphère privée et sphère publique. Au sein de celle-ci, et au nom de la laïcité, ne peut être tolérée l'intrusion de quelque différence culturelle que se soit dans l'espace public. Une réalité sociologique - la grande diversification culturelle et psychologique des élèves à l'intérieur de l'école publique - est ainsi subordonnée à des principes de philosophie politique jugés universels.

Ce courant républicaniste n'a cessé de se renforcer ces derniers mois, et ses thèmes de prédilection rencontrent un écho grandissant au sein de l'opinion. Autour notamment d'Emmanuel Todd et de Philippe Cohen, la création de la fondation Marc-Bloch participe de cet élan. Une revue, Les Cahiers du radicalisme, fait son entrée en matière par un tonitruant « Vive la République ! » en couverture du numéro 1 2. La composition de l'équipe rédactionnelle ne constitue assurément pas un bloc intellectuel homogène, mais l'éditorial affiche clairement le combat qu'entend mener la revue au nom de la République. Est symptomatique de cet esprit la reproduction de l'article paru dans Le Monde quelques semaines plus tôt (4 septembre 1998), « Républicains, n'ayons plus peur ! » co-signé par de « vieux » combattants de la cause républicaine, comme R. Debray ou Max Gallo, mais aussi, chose nouvelle, par des anciens (?) de la deuxième gauche, de tradition moins étatiste, tels Jacques Julliard ou le directeur d'Esprit Olivier Mongin. Face à la violence et aux incivilités, cet article lance un vibrant appel au retour à l'ordre, à la discipline, à l'autorité, en un mot à la loi, le tout non sans un certain esprit de revanche contre la face libertaire de mai 1968 ; contre le walkman à l'école, porte ouverte à la violence ; contre le tag, premier pas vers la grande délinquance urbaine. Tolérance zéro !