Avant d’attaquer la rédaction de cet article, j’ai commencé par accumuler des documents : quelques livres, des articles de revue, des textes téléchargés sur Internet. Bien que le sujet soit très spécifique, on arrive assez vite à constituer une pile imposante, qui vient côtoyer d’autres piles, consacrées à d’autres sujets, qui se sont formées sur et à côté de mon bureau. Aussi, avant de plonger tête baissée dans l’exploration du sujet, j’ai été saisi d’un doute. Un article consacré à l’art de « simplifier le travail » n’est-il pas l’occasion d’expérimenter une autre façon de faire ?
En règle générale, ma méthode de travail est loin d’être économique. Ma conscience professionnelle alliée au goût immodéré de découverte me pousse à me plonger dans une montagne de documents et à noircir des pages de notes avant de commencer la rédaction proprement dite. Au fil de cette exploration, survient « l’inspiration », ce « moment eurêka » où apparaît l’idée directrice qui va commander le plan de l’article, les exemples, etc. Il arrive aussi que trop de lecture conduise à l’indigestion et au désarroi : l’idée de départ a été pulvérisée par de nouvelles pistes qui partent dans tous les sens. C’est alors qu’arrive la perspective de la deadline qui vient rappeler la fin de l’exploration. Il est temps d’en finir et de remettre la copie. Il faut alors se résoudre à reprendre son brouillon, couper ici, élaguer là, cacher quelques manques, peaufiner quelques formules. À ce stade, le regret de n’avoir pu tout lire et tout dire prend la forme d’une frustration, aussitôt associée à une petite voix intérieure de consolation : tous ces matériaux inexploités me serviront plus tard, la prochaine fois, je ferai mieux.
Face à cette débauche d’énergie, de temps et de moyen, pour un résultat rarement à la hauteur du rêve initial, n’y aurait-il pas un moyen de faire plus simple ?
Le souci de se simplifier le travail appelle une autre méthode d’écriture fondée sur quelques principes : limiter la documentation (qui est de toute façon inflationniste), limiter le temps d’écriture (en fixant un délai strict) et limiter les exigences. Oublions l’espoir d’une synthèse idéale, du fignolage et des effets de style : le mieux est l’ennemi du bien.
Qu’est-ce que le slow business ?
« On est foutu, on pense trop », écrit Serge Marquis 1, le plus drôle des gourous de la simplicité volontaire* 6. Il parle avec beaucoup d’humour du déclic qui l’a conduit à faire le ménage dans son bureau. « Armé de grands sacs-poubelles noirs, je me suis attaqué à la première pile. Avant de jeter le premier magazine, j’ai lu le titre et ouvert une page : “Tiens, comme c’est intéressant !” Et plutôt que de jeter le magazine, je l’ai posé de côté. Puis j’ai ouvert le second magazine : “Tiens, comme c’est intéressant !” et je l’ai reposé sur le premier, etc. Au bout d’une heure, le sac-poubelle était vide et j’avais reconstitué une autre pile à côté de la première ! » Il lui a fallu admettre que pour faire le vide, il était indispensable de renoncer : renoncer à tout lire, ce qui demanderait des mois et des années (alors qu’entre-temps d’autres livres, d’autres magazines, tout aussi intéressants et utiles seraient parus…). Il fallait donc admettre qu’il est tout simplement impossible d’accomplir tout ce que l’on rêve d’entreprendre.