Care fait partie de ces termes anglais bien difficiles à traduire : « souci », « soin », « sollicitude », autant de mots mal appropriés pour une notion qui renvoie aussi bien à l’idée d’une disposition, d’une sensibilité, qu’à une pratique, à des soins donnés. Mais le care est également devenu le nom générique d’un vaste courant de recherches pluridisciplinaires qui analyse aussi bien le travail social, le monde de la santé, la répartition des tâches domestiques, les relations parentales ou l’éducation des enfants. Ce courant est lié historiquement au féminisme car, de fait, ce sont bien les femmes qui dans nos sociétés prennent en charge l’essentiel du care.
En France, ces travaux sont encore mal connus. Si la sociologie et la psychologie du travail se familiarisent depuis peu aux perspectives qu’ils ouvrent, la réflexion philosophique, en particulier morale et politique, semble tout ignorer ou presque d’analyses qui ont réinterrogé la morale et la notion de justice.
Là est notamment l’apport de l’ouvrage dirigé par Patricia Paperman et Sandra Laugier, qui montre comment la philosophie du care peut déporter notre regard. Car elle interroge la valorisation systématique dans la philosophie morale de l’universalisme, de la raison, des principes abstraits, de la notion d’obligation et souhaite faire entendre une autre voix, qui porterait une attention accrue au particulier et aux sentiments moraux.
Le travail du care
<p><em>Le travail du care. 
</em>Pascale Molinier, La Dispute, 2013.</p>
Le care, c’est l’activité du soin donné à autrui. Ce travail ne peut se concevoir en dehors d’une attitude bienveillante. « Nous aimons les personnes âgées », affirment en chœur les femmes de ménage, aides-soignantes et autres travailleuses interrogées par la psychologue Pascale Molinier dans une maison de retraite. Ses réflexions portent sur la place de celles qui font « le sale boulot », mais que l’on n’entend pas, car leur point de vue n’est pas écouté. Ainsi, elle relate le cas de cette auxiliaire licenciée sous le prétexte qu’elle a réveillé la libido d’un résident en l’appelant « mon chéri ». On lui reproche un manque de distance professionnelle. Après son départ, le vieillard émoustillé est redevenu calme. De nouveau, il tourne en rond, comme d’habitude, parfaite image de ce qu’attendent les cadres de cette institution. Pour sortir de cette triste réalité, P. Molinier en appelle à un changement de paradigme : une société où le care serait au centre des préoccupations de tous et non plus refourgué aux moins diplômés. Elle imagine une organisation du travail moins verticale, moins spécialisée, plus collective, basée sur une confiance et concertation réciproques, un système qui encouragerait les idées novatrices. À l’appui de ce plaidoyer, l’auteure analyse le fossé grandissant entre ceux qui font le travail de soin et ceux qui le pensent. L’émergence d’une telle « société du care » n’en paraît qu’encore plus lointaine…
Où va le care ?
Qu’en est-il aujourd’hui du care ? On peut sans se tromper dire que les avocates du care ont gagné au moins sur un terrain : celui des services à la personne. Depuis la fin des années 1990, le care est devenu le matériau ordinaire à partir duquel s’élaborent les réflexions sur des professions de soin telles que la médecine, le soin aux handicapés, l’encadrement de la vieillesse, l’aide à domicile et autres pratiques aussi sensibles que la procréation médicalement assistée ou la question de l’avortement. On en trouve le reflet dans Le Travail du care de Pascale Molinier (La Dispute, 2013).
En revanche, l’ambition de placer le care au centre d’une réforme globale des pratiques sociales, politiques et environnementales reste entravée par bon nombre de questions difficiles à résoudre : à qui revient la tâche de mettre en œuvre un care généralisé ? Les pouvoirs publics, la société civile, le secteur privé ? Qui doit en assumer le coût ? Dans quelle mesure l’attention portée aux besoins d’une catégorie sociale peut-elle se heurter à la liberté de l’individu de se définir comme différent ? La notion de care, au départ simplement associée à une disposition typiquement féminine, est aujourd’hui devenue l’enjeu d’un débat de société, et un mot d’ordre à l’occasion repris par des leaders d’opinion et des candidats aux élections. À ce sujet, on lira Politiser le care ?, dirigé par Marie Garrau et Alice Le Goff (Le Bord de l’eau, 2012).