Prenez le portrait type du négociateur japonais, brésilien, américain, arabe ou français : les Japonais ne disent ni oui ni non ; les Brésiliens parlent fort afin de séduire leurs adversaires ; les Américains comptent les divisions et assènent posément des arguments tranchants ; les Arabes alternent embrassades chaleureuses et engueulades bruyantes ; les Français improvisent avec aplomb mais sont toujours prêts à ouvrir le parapluie, ce qui reporte un accord aux calendes grecques. Ces stéréotypes sont pratiques mais, pour qui en a l’expérience, ne fonctionnent pas vraiment : à l’occasion, des Chinois réputés très prudents et très patients peuvent se montrer aussi brutaux et pressés que des Américains. Alors, faut-il en finir avec les fameuses « différences de cultures » pour justifier le déroulement d’une négociation ? C’est ce que nous allons examiner.
Éliminons d’abord l’idée que la Culture (avec un grand « C ») est une sorte de bloc indivisible au poids duquel personne ne peut se soustraire. Si c’était vrai, les négociateurs internationaux ne parviendraient jamais à s’entendre. Dans le monde réel, les négociateurs partagent surtout des intérêts bien compris, moyennant quoi ils finissent par signer des contrats, des conventions et des traités. Affirmer que les êtres humains raisonnent de manières totalement différentes selon le lieu où ils sont nés est très douteux. On a fait plus d’une fois le constat que les mêmes raisonnements, les mêmes valeurs et les mêmes normes se rencontrent partout. Seule leur hiérarchie varie : ici, on préférera, par exemple, la fraternité à la liberté, ou cette dernière à l’égalité ; là, on fera passer la cohésion du groupe avant les avantages que ses membres tireront personnellement d’un accord collectif. C’est vrai des Américains (inventeurs de la « pensée de groupe »), qui évitent d’exposer leurs opinions divergentes, et aussi des Chinois confucéens. Mais il y aura des équipes de négociateurs obnubilés par la poursuite des discussions, même infructueuses ; et d’autres dont les membres seront obsédés par leurs performances dans une négociation sans suite.