Le 5 juin 2002 près de Nantes, un jeune homme de 17 ans frappe de plusieurs coups de couteau une de ses camarades âgée de 15 ans. Immédiatement arrêté, Julien, comme il se prénomme, explique qu'une envie de tuer quelqu'un lui était venue après avoir vu plusieurs fois le film Scream (Wes Craven, 1996), et notamment l'après-midi précédant les faits.
Cette agression n'est que la dernière d'une longue série de faits divers où interviennent, à des degrés différents, des images, des scènes ou des scénarios tirés des différents médias. Beaucoup en tirent argument pour en conclure à l'influence des médias qui, par l'étalage complaisant de la violence, pousseraient à commettre des actes violents. Dans les cas extrêmes de passage à l'acte, c'est souvent le cinéma qui est en cause, et plus spécialement des films comme Scream (à tel point que certains ont pu parler de « screaminalité ») ou encore Tueurs nés (Oliver Stone, 1996). Mais au-delà, ce sont tous les supports de l'image qui ont pu être montrés du doigt, accusés de susciter, notamment chez les jeunes des formes diverses d'agressivité : Internet, la photographie, les jeux vidéo 1... le média le plus fréquemment visé restant tout de même, et de loin, la télévision.
Cependant, la mise en cause de l'image comme source de violence n'a pas attendu la récente explosion des médias audiovisuels pour s'exprimer, et les sciences humaines ont été très tôt sollicitées pour prouver leur influence néfaste. Dans son récent état des lieux de la question 2, la sociologue Monique Dagnaud rappelle que les fameuses « Payne Fund Studies » (du nom de l'organisme qui les finançait) avaient, dès la fin des années 20, établi « une corrélation entre délinquance juvénile et forte fréquentation des salles obscures » aux Etats-Unis. Et ce, dans un contexte où la représentation de la violence était beaucoup moins massive qu'aujourd'hui... Cela montre, selon elle, que « les images des débordements humains ont toujours été tenues pour une agression psychique et une menace, quelle que soit l'époque » et qu'ainsi, « avant les preuves scientifiques, le sujet médias/violence est relié à des éléments qui le dépassent ».
Un fatras de recherches
Cela n'a pas empêché les chercheurs d'investir massivement le thème. Bien au contraire : le sociologue Raymond Boudon signale qu'il a dénombré, rien qu'aux Etats-Unis, 3 000 études sur le thème « violence et médias »... pour la seule année 1994 ! Et ce chiffre monte à 3 500 pour l'année 1998, l'essentiel de ces études portant sur les effets de la violence sur les jeunes et les adolescents 3. Ces estimations concordent avec celles du sociologue Eric Maigret, qui a compté, toujours aux Etats-Unis, plus de 2 500 articles par an sur le sujet dans les années 70, ce qu'il explique par « l'existence d'une très forte demande sociale et institutionnelle émanant des associations familiales, de l'Etat, de la justice, des autorités de contrôle des médias, etc.4 ». Ce fatras de recherches s'organise en quelques grands types d'investigation, chacun éclairant une facette de la problématique.
Il y a tout d'abord les études de laboratoire, qui testent les réactions d'individus à un matériel visuel contenant de la violence. La recherche dirigée par le psychologue Albert Bandura en 1963 5 en est devenue un exemple classique : les chercheurs présentaient à un groupe d'enfants une séquence où un adulte tapait une poupée en ajoutant des commentaires agressifs. Cette séquence était filmée puis projetée à un autre groupe d'enfants. Ces enfants étaient ensuite mis en situation de jeu avec divers objets, dont la poupée utilisée par l'adulte. Résultat : on constatait, dans tous les groupes ayant vu la séquence (directement ou sur l'écran) des comportements agressifs beaucoup plus fréquents que dans le groupe de contrôle, qui n'avait pas été soumis à la séquence violente. Ces résultats étaient particulièrement nets chez les garçons. D'autres enquêtes, évaluant l'effet de l'exposition à des images violentes sur un plus long terme (six à huit mois), concluaient également à une forte reproduction des comportements observés.