Les formes du visible

Les formes du visible, Philippe Descola, Seuil, 2021, 848 p., 35 €.

Comment les humains rendent-ils visible ce qui est invisible ? Comment figurent-ils le réel selon qu’ils sont Chinois, Africains ou Aborigènes ? La diversité des modes de représentation est-elle liée à des modes différents d’appréhension du monde ?

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La parution de Par-delà nature et culture en 2005 avait été remarquée, en France et dans le monde, et ce au-delà du domaine propre aux anthropologues. Dans cet ouvrage, les différences entre les cultures humaines étaient rapportées à différents modes d’appréhension du réel. Selon Philippe Descola, ils sont au nombre de quatre : animisme, totémisme, analogisme et naturalisme. Ces quatre ontologies constituent trois manières de penser l’environnement, la place de l’homme dans celui-ci et les liens entre humains et non-humains. Novatrice et saluée comme telle, cette typologie permettait à la fois de rendre compte de modes d’appréhension du réel différents du nôtre et du même coup de relativiser celui-ci. En effet, le naturalisme occidental moderne, ainsi que l’a nommé P. Descola suppose une séparation entre l’homme et le reste du monde vivant, voire inerte, qui, s’il est physiquement et biologiquement semblable, diffère profondément par son esprit. Notre corps nous rapproche du vivant en général, notre esprit nous en sépare radicalement. On voit d’ailleurs comment ce modèle tend à être remis en cause désormais par les plus récents travaux en éthologie animale, sinon végétale. Le modèle animiste, à l’inverse, établit, lui, une discontinuité physique entre humains et non-humains mais une identité intérieure, chaque être vivant, voire chaque objet naturel étant doté d’une intentionnalité. La communication s’avère alors possible avec le reste du monde.

L’hypothèse qu’avance P. Descola dans Les Formes du visible est que ces quatre ontologies manifestent également leur façon d’appréhender le réel dans la production de leurs images. La chose peut sembler logique, puisque la façon de voir le monde doit également influer sur la façon de le donner à voir. Mais cela nécessite de réunir un matériau suffisamment vaste et pertinent pour que la démonstration emporte l’adhésion. C’est à cela que s’emploie P. Descola dans cet ouvrage, dont la qualité iconographique permet de rendre le propos d’autant plus convaincant.