Les intellectuels et le marxisme

Le marxisme est l'« indépassable philosophie de notre temps » : Jean-Paul Sartre ne fait pas dans la nuance. Cette proclamation illustre les liens passionnés qu'a entretenus (essentiellement en France) une génération de penseurs avec l'oeuvre de Karl Marx.

Les années 50 marquent l'apogée de la prééminence du marxisme dans l'intelligentsia. Certes, tous les intellectuels ne sont pas marxistes, ni communistes, loin de là. En revanche, la plupart des débats publics, qu'il s'agisse de géopolitique ou d'épistémologie, s'opèrent en référence au système d'explication marxiste.

Pour saisir ce phénomène, il faut en revenir à la double nature de cette théorie : sa vocation scientifique et son projet politique. Ses relations avec les intellectuels prennent d'abord la forme de l'engagement de personnalités auprès du mouvement communiste. Mais elles se manifestent aussi par la prégnance du paradigme marxiste dans les sciences sociales.

Les compagnons de route

En France, l'intérêt des intellectuels pour la « lueur née à l'Est » (La Révolution russe de 1917) ne poindra qu'à partir des années 30, sous l'effet de la montée de la menace fasciste. Les surréalistes (Louis Aragon, André Breton, Paul Éluard), quelques philosophes (Henri Lefebvre, Paul Nizan...), rejoignent le Parti communiste français. La publication en novembre 1936 du Retour d'URSS, d'André Gide, va porter pour la première fois la question du régime soviétique sur la place publique 1.

La fin de la Seconde Guerre mondiale change la donne. L'heure est à l'action. Dans la première livraison des Temps Modernes, en 1945, Sartre somme les intellectuels de s'engager. Ce sera l'époque des « compagnons de route » du Parti communiste. Auréolé par la Résistance et par l'« effet Stalingrad », le « parti des 75 000 fusillés » se présente aussi comme le « parti de l'intelligence », aidé en cela par la présence en son sein de quelques jeunes intellectuels (Annie Kriegel, Edgar Morin, Emmanuel Le Roy Ladurie...). Dernier ingrédient, la guerre froide : dans les années 50, la bipolarisation du monde (l'Amérique capitaliste contre la Russie communiste) accentue les clivages et favorise le manichéisme.