« Capacitation », « pouvoir d’agir » voire « empouvoirisation »… Bien que l’on n’ait pas encore trouvé la bonne manière de le traduire en français, le concept d’empowerment est à la mode dans l’Hexagone. Il est en effet porteur d’une ambitieuse promesse : renouveler les politiques sociales en s’appuyant sur les capacités d’action des citoyens et des collectifs.
Sortir de la passivité
Dans leur récente présentation du concept, la sociologue Marie-Hélène Bacqué et l’économiste Carole Biewener rappellent que l’empowerment naît dans les années 1970 de plusieurs origines (1). Parmi celles-ci, on trouve en particulier les luttes des mouvements noir et féministe aux États-Unis d’un côté, et le champ du développement international (plus spécifiquement en Asie du Sud) de l’autre. De nature très différente, ces mobilisations ont en commun d’apparaître sur « un même fond d’opposition aux formes d’autorité hiérarchique imposées du haut » et autour d’enjeux de reconnaissance des « have not », des marginalisés ou des « subalternes ». Les critiques qu’elles adressent à la manière dont ces populations sont prises en charge sont de plusieurs ordres. Il y a tout d’abord, à un niveau global, une dénonciation des inégalités de classe, de race et/ou de genre. Il y a ensuite une remise en cause des fonctionnements paternalistes des divers acteurs de l’encadrement social (ONG, travailleurs sociaux), qui réduisent les assistés à des victimes passives ne demandant qu’à être secourues. Cette critique s’articule avec une demande de participation des individus et des collectifs à la définition de leurs besoins et des actions à mener. Enfin, en lien avec le monde académique, un débat sur le poids respectif des contraintes, des dominations, des logiques institutionnelles (les structures) et des capacités d’action individuelles (l’agency ou « agencéité ») dans le changement social.
Changement individuel et changement collectif
L’originalité des démarches d’empowerment qui naissent au croisement de ces réflexions est de poser que, pour les groupes pauvres ou dominés, l’amélioration de leur condition ne viendra pas de l’octroi d’une aide ponctuelle par les services sociaux mais d’un changement à la fois et inséparablement individuel, collectif et social. La « conscientisation », la construction d’une confiance en soi et de compétences individuelles découlent d’une démarche collective de soutien et de réconfort (groupes de parole, échanges d’expériences et de conseils, actions collectives) ayant pour but ultime l’émancipation et la transformation de la société. Des associations féministes mènent par exemple des actions d’empowerment auprès de femmes battues : les premiers ateliers visent à faire prendre conscience du problème, en posant aux participantes des questions telles que « pourquoi les hommes battent-ils leurs épouses ? » ou « pourquoi les femmes se sentent-elles souvent coupables ? » Il s’agit de faire prendre conscience du fait que la violence conjugale n’est pas un problème individuel mais social, ce qui permet d’aborder dans les ateliers suivants le problème du sexisme. Les dernières séances explorent collectivement les moyens d’action à disposition des femmes : comment ne pas se laisser faire face aux regards parfois moralisateurs des institutions ? Comment trouver un logement, où trouver les bons conseils ? Bref, il s’agit « d’organiser et de motiver les femmes à agir, et non de fournir une assistance sociale à des nécessiteux ».