Les luttes pour la reconnaissance

Femmes, homosexuels, minorités religieuses et travailleurs : la plupart des nouvelles luttes correspondent à des demandes de reconnaissance. Signe d’une psychologisation des rapports sociaux ?

Il y a des moments où une notion semble faire consensus et rassembler des aspirations collectives apparemment diverses. C’est le cas, depuis les années 1990, du concept de reconnaissance. Les deux textes fondateurs des « théories de la reconnaissance », La Lutte pour la reconnaissance du philosophe Axel Honneth, et l’article « Multiculturalisme. Les politiques de la reconnaissance » de Charles Taylor, datent de 1992. Ce n’est pas tout à fait un hasard : l’effondrement du communisme soviétique venait de rouvrir la question de la reconnaissance au-delà de la lutte des classes, et produit un regain d’intérêt pour celui qui n’apparaissait plus seulement comme le précurseur de Karl Marx, mais comme le penseur qui avait exploré les enjeux existentiels, psychologiques, politiques de la lutte pour la reconnaissance : Georg Hegel (1770-1831). A. Honneth présente sa propre théorie comme une actualisation de certaines intuitions d’Hegel, et C. Taylor le désigne nommément comme le principal théoricien de la reconnaissance.

Les nouveaux mouvements sociaux

Mais c’est à la faveur de mouvements sociaux particuliers que les théories de la reconnaissance de la fin du 20e siècle réactivent le concept. La reconnaissance semble toujours se situer au point de croisement du psychologique et du politique, de l’existentiel et du collectif, là où une identité méconnue ou méprisée cherche à se rendre visible, à faire valoir ses droits ou sa dignité : identité ethnique (les peuples autochtones, les Noirs américains…), identité sexuelle (le mouvement gay et lesbien, les trans…) ou identité sociale (les précaires, les chômeurs, les travailleurs harcelés ou subissant une forte souffrance au travail…). Ces besoins de reconnaissance variés relancent des interrogations qui avaient été déjà thématisées dans les années 1960-1970 à propos des nouveaux mouvements sociaux : luttes pour les droits civiques, enjeux antiracistes, luttes féministes, mouvement gay, mouvements de décolonisation… Une théorisation contemporaine de ces mouvements s’était déjà appuyée sur le motif hégélien de la reconnaissance, parfois à travers sa relecture par Alexandre Kojève comme dialectique du maître progressivement dominé par l’esclave qu’il domine. On en trouve l’écho chez Franz Fanon (Peau noir, masques blancs), Jean-Paul Sartre et même Martin Luther King. Ce dernier a lu Hegel, et s’en est inspiré pour penser l’action non violente comme un dépassement dialectique de l’acquiescement, qui peut conduire à la soumission, et de la violence, qui peut semer la pure destruction  1.