Parmi les polémiques suscitées par la réforme des collèges, l’enseignement de l’histoire est, une nouvelle fois, sur la sellette. Véritable « passion française », comme l’avait qualifiée l’historien Philippe Joutard, la discipline historique ne manque jamais, à chaque publication de nouveaux programmes, d’enflammer le débat public.
« Nos repères communs seront extraits des cultures venues d’ailleurs et des tragédies de notre histoire (…) », peut-on lire sous la plume de Madeleine Bazin de Jessey dans le quotidien Le Figaro. « On prive les Français de leur histoire », ajoute Pascal Bruckner. Sans compter l’éternelle polémique autour de la chronologie, accusée d’être bafouée au profit d’une histoire thématique qui brouille les repères des élèves et rend impossible le déroulement « d’une histoire nationale susceptible de provoquer empathie et fierté chez les élèves, jalonnée par les grands hommes, les événements significatifs, et portée par une dynamique de progrès ». La formule est de l’historien Alain Decaux, qui, en 1979, ferraillait déjà contre de nouvelles directives pour l’enseignement de l’histoire à l’école primaire.
Les réponses du camp adverse se sont immédiatement multipliées à travers les blogs et autres pétitions de protestation 1. Le mouvement Aggiornamento hist-geo, par exemple, plaide activement « pour un renouvellement de l’enseignement de l’histoire et de la géographie du primaire à l’université ». Il milite pour le recours à une histoire plus globale, et donc moins francocentrée, et à des approches thématiques engageant la réflexion sur l’immigration ou les droits de l’homme, par exemple.
Ces questions sont devenues très sensibles, souligne l’une de ses fondatrices, Laurence de Cock 2, dans la dernière livraison de la revue Les Annales. Car « la place accordée au national, la nature des acteurs du passé (héros ou anonymes), la mise en “ordre” de l’histoire (chronologie vs thématique) deviennent des marqueurs idéologiques de programmes et de manuels qui peuvent alimenter la suspicion d’une forme de propagande orchestrée par l’État ». Cette enseignante d’histoire-géographie et chercheuse en sciences de l’éducation analyse les processus de fabrication des programmes scolaires, montrant que les choses sont un peu plus compliquées.
Comment les programmes se fabriquent-ils ?
Les savoirs académiques, pour être transmis, doivent subir une « mise en forme scolaire ». Les programmes, qui agencent contenus et méthodes, sont chargés d’intentions pédagogiques qui obéissent à une triple finalité : intellectuelle, identitaire et civique. Mais ces finalités ne vont pas sans fluctuer et se reconfigurer sans cesse et parfois même se contredire. La visée identitaire, par exemple, est peut-être celle qui déstabilise le plus l’histoire scolaire : doit-elle exalter la nation française ? Quelle place pour les mémoires particulières telles que la Shoah, la traite négrière et la colonisation ? Doit-elle s’adosser aux politiques de reconnaissance ou à la construction d’un monde commun ?