Dans l’histoire du christianisme, le protestantisme n’est pas une essence soudainement surgie à Wittenberg, aux portes de l’automne 1517. Sa naissance s’est jouée sur le mode d’une dissidence. Les premiers réformateurs ne sont autres que des catholiques en rupture de ban ! La dissidence s’est ensuite externalisée, solidifiée, instituée. Elle s’est constituée en Églises, souvent liées avec le prince. Martin Luther, Jean Calvin, Ulrich Zwingli ont encouragé la mise en place d’Églises en lien avec les autorités en place, dotées d’un clergé (un corps pastoral instruit) et d’une doctrine aux contours délimités par une confession de foi (courte synthèse théologique).
Mais le protestantisme n’en est pas moins resté marqué par ce moment fondateur qu’est la dissidence. Au point que « protestant » et « dissident » sont parfois de quasi-synonymes dans la littérature scientifique spécialisée, en particulier au Royaume-Uni. On compte aujourd’hui de nombreuses études sur le Dissent, la dissidence protestante 1. Cette marque a profondément traversé l’identité du protestantisme européen et transatlantique. Comment en comprendre les sources ? Et quel rapport avec les Réveils qui scandent l’histoire protestante depuis le 18e siècle ?
Sources des dissidences protestantes
Le chaudron où bouillonne le protestantisme naissant, aux 16e et 17e siècles, est agité par deux mouvements centripètes. La plupart des réformateurs visent à mitonner une recette fédératrice, qui a pour nom la « confessionnalisation ». De quoi s’agit-il ? Le terme désigne le processus de stabilisation de grandes Églises (luthériennes, réformées, anglicane) autour de deux éléments : un encadrement de masse en lien avec le prince, et un périmètre doctrinal strictement délimité. Mais la marmite de la Réforme est trop agitée pour se contenter de ces dynamiques. Dès le 16e siècle, des dissidences protestantes choisissent l’option centrifuge. À l’encadrement de masse, elles préfèrent le cercle des élus, voire l’association des convertis. Et plutôt qu’un périmètre doctrinal figé, elles privilégient un libre approfondissement. Ces dissidences investissent tantôt l’ascèse, tantôt l’inspiration spirituelle. D’autres encore insistent sur une logique de purification des « erreurs » passées, d’où vient le terme de puritanisme. Les puritains ne sont autres que ces héritiers turbulents de Calvin, insatisfaits de ce qu’ils estiment être les compromissions faites au nom d’enjeux politiques.
Quel est le périmètre de cette dissidence protestante au 16e siècle ? Entre 15 et 20 % des populations européennes qui se rallient aux « idées nouvelles » de la Réforme relèvent, à un moment ou un autre, de cette mouvance multiforme. Elle recouvre alors en large partie ce que l’historien George H. Williams 2 a désigné, le premier, sous le terme générique de Réforme radicale. Des nébuleuses dissidentes en marge des Églises protestantes établies. Ces dernières se rattachent à ce qu’on appelle la Réforme magistérielle, c’est-à-dire en lien avec le magistrat, l’autorité politique (prince ou conseil urbain). Les dissidents, eux, sont indépendants des pouvoirs en place. Et ces derniers le leur font payer cher, jusqu’au bûcher, ou la noyade.