« Ils ne savent pas que je leur amène la peste. » La fameuse formule qu’aurait lancée Sigmund Freud à Carl Jung dans le bateau qui les menait en Amérique n’a sans doute jamais été prononcée (1). Elle est néanmoins vraisemblable du fait des doutes réels qu’exprimait le père de la psychanalyse quant à la capacité des Américains à l’accepter. Nous étions en 1909. Freud était invité à la Clark University de Worcester, État du Massachusetts. William James qui régnait alors en maître sur la psychologie américaine était là pour l’écouter. Contre toute attente, la renommée de Freud était grandissante avant même son arrivée. Pour lui, il ne pouvait s’agir que d’un malentendu. « Si ses idées étaient déjà reçues avec mépris et dérision en Europe, pourtant si cultivée et raffinée, comment pouvait-il espérer être entendu sur la terre des cow-boys et des Indiens (2) ? »
Freud continuera longtemps de s’étonner que ses théories rencontrent sur le Nouveau Monde un tel succès. Dans une lettre à Otto Rank datée de 1924, il note : « La psychanalyse va aux Américains comme une chemise blanche à un corbeau. » Dès les années 1920, la plupart des grands psychiatres ont pourtant adopté les thèses essentielles de la psychanalyse. L’implantation du freudisme sera renforcée par l’arrivée de la vague d’immigration des Juifs européens dans les années 1930. Parmi tous les grands noms de la psychologie américaine : Karen Horney (1885-1952), Heinz Hartman (fondateur de l’ego psychology), Erich Fromm (1900-1980), Harry Sullivan (1892-1949), Geza Roheim (1891-1953), René Spitz (1887-1974), Heinz Kohut (fondateur de la self psychology), Erick Erickson, (1902-1994), Bruno Bettelheim (1903-1990), tous, excepté Sullivan, sont des immigrés juifs, venus d’Europe pour fuir le nazisme. Melanie Klein et Michael Balint, qui firent partie de la même vague d’immigration, s’installèrent, eux, en Angleterre et eurent une influence très forte aux États-Unis.