Les ressorts de nos choix

Chaque jour, nous prenons des milliers de décisions sans y penser. Ces automatismes conduisent à des erreurs mais sont le plus souvent utiles.

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Croiser quelqu’un par la gauche ou par la droite, s’engager sur le passage piéton, s’arrêter pour laisser passer un scooter trop pressé, se diriger vers le bureau de vote, mettre son bulletin dans l’urne… Toutes ces actions sont des décisions. La plupart sont automatiques, nous les prenons sans y penser. D’autres ont été l’objet d’une longue délibération. Parfois des décisions capitales doivent être prises dans l’urgence, dans une centrale nucléaire au bord de l’implosion par exemple. Et parfois nous avons tout notre temps pour des choix insignifiants, comme la couleur des gobelets à un pot de fin d’année. Dans tous les cas, nous jugeons en permanence les effets – plus que les raisons – de nos décisions. C’est ce que les chercheurs appellent des « heuristiques de jugement ». L’expression a été inventée par l’économiste Herbert Simon, dans les années 1950, pour désigner des règles de raisonnement approximatives, mais fournissant des réponses souvent satisfaisantes.

La notion d’« heuristique de jugement » a été une importante nuance apportée à celle « d’utilité espérée », forgée une dizaine d’années plus tôt par John von Neumann et Oskar Morgenstern. Dans le sillage du concept d’Homo œconomicus, ces deux économistes partaient du principe que nous prenions nos décisions en calculant rigoureusement leurs bénéfices. Les jeunes décideraient par exemple de leurs études en fonction des taux d’insertion professionnelle, des niveaux moyens de salaire à la sortie, etc. Ce modèle a cependant du mal à expliquer des choix apparemment irrationnels, comme le fait de jouer au loto alors que les statistiques sont contre nous. Des recherches en psychologie, en économie comportementale ou encore en sciences cognitives ont donc envisagé que le « calcul de l’utilité espérée » n’obéit pas exclusivement à des règles logiques. Il dépendrait aussi de facteurs plus pragmatiques, individuels ou encore émotionnels.

Deux vitesses de la pensée…

L’idée a été popularisée par le spécialiste d’économie comportementale Daniel Kahneman dans Système 1/système 2 (2012). Selon lui, notre psychologie est tiraillée entre deux grandes tendances : le « système 1 » est intuitif, rapide et sollicite peu d’énergie ; il permet de prendre des milliers des décisions automatiques au quotidien. Le « système 2 » est plus rationnel, lent et énergivore ; il nous permet de remettre en question nos intuitions de départ, de prendre en compte des paramètres plus techniques ou abstraits. Le système 1 est souvent présenté comme une source de biais cognitifs et d’erreurs, pouvant être corrigés ou atténués grâce au système 2. Si nous investissons beaucoup de ressources dans une activité par exemple, nous aurons plus de mal à nous arrêter. Les joueurs de casino sont ainsi victimes d’un « biais d’aversion à la perte » : ils rejettent l’idée d’avoir misé tant d’argent pour rien et surestiment la possibilité d’un retour sur investissement. En revanche, s’ils font l’effort de calculer statistiquement leurs véritables chances de gains, ils peuvent comprendre qu’elles sont nulles et arrêter les frais.