D’où vient le sentiment que nous éprouvons ordinairement d’être « soi », d’être doté d’une consistance, d’une profondeur intérieures ? L’enquête du philosophe canadien Charles Taylor montre que cette « identité moderne » a une histoire, dont il met en évidence les linéaments. Il y a tout d’abord une histoire de la pensée qui légitime peu à peu le recours à l’introspection. Dans ses Confessions, Saint-Augustin donne ainsi cette consigne : « Au lieu d’aller dehors, rentre en toi-même ; c’est au cœur de l’homme qu’habite la vérité. » C. Taylor fait d’ailleurs du philosophe chrétien l’inventeur de la « réflexivité radicale », qui consiste à prendre sa propre subjectivité pour objet, à « devenir conscient de notre conscience, faire l’expérience de notre expérience ». Puis Montaigne écrira dans ses Essais : « Chacun regarde devant soi ; moi, je regarde dedans moi ; je n’ai affaire qu’à moi. » Mais C. Taylor évoque également le fameux « je pense donc je suis » de René Descartes… Le protestantisme apportera ensuite la « valorisation de la vie ordinaire », c’est-à-dire la valorisation de la vie matérielle : le travail, la production de biens, la famille… Enfin, le processus de sécularisation des sociétés achève de débarrasser l’homme de toute transcendance pour mieux trouver en lui-même la vérité de ses actes. C. Taylor reprend à son compte la phrase de l’écrivain Johann Herder (1744-1803) : « Chaque être a sa propre mesure. »
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