Mères à bout de nerfs

Quand l’émancipation féminine se heurte à la dure réalité du maternage quotidien, l’image d’Épinal de la mère épanouie en prend un coup.

« Ahhhh ! C’est merveilleux. Vous verrez, ce sont les plus belles années de votre vie. » Combien de parfait(e)s inconnu(e)s m’ont-ils tenu ces propos dans la rue tandis que je cherchais péniblement à avancer avec la petite dernière déjà lourde en porte-bébé et l’aînée qui traînait des pieds. Et de répondre : « Oui, bien sûr… » le sourire crispé par les nuits sans sommeil, les insupportables caprices, les matins qui déchantent quand c’est le sprint pour conduire l’une à la crèche, l’autre à l’école avant de se ruer, déjà épuisée, au travail. Mais de quoi faudrait-il se plaindre ? N’est-ce pas « merveilleux » d’être mère ? Honte à celles qui osent émettre la moindre réserve.

Il est entendu qu’elles doivent être les plus heureuses du monde, comblées par d’adorables bambins, aimants et souriants. Pourtant, des voix de plus en plus nombreuses s’élèvent pour noircir le tableau idyllique. Les mères se rebifferaient-elles ? Des témoignages, des enquêtes, des fictions brisent le tabou et disent leur épuisement, la culpabilisation dont elles sont victimes, leur solitude, le poids des normes sociales, la dépossession de soi…

Barbara, l’héroïne d’Un heureux événement (2005), le roman d’Éliette Abécassis, dit son désenchantement : « Faire un enfant est à la portée de tous, et pourtant peu de futurs parents connaissent la vérité, c’est la fin de la vie. » Un jugement lapidaire qui dit le désespoir de cette jeune mère thésarde en philosophie dont la vie ne tourne désormais plus qu’autour du bébé. Avec, à la clé, une sociabilité réduite à néant et un couple en plein naufrage.

Dans Mère épuisée (2011), Stéphanie Allenou dresse un tableau à peine moins sombre de la maternité et témoigne avec une rare franchise de sa longue descente aux enfers. Surtout quand on a non pas un seul mais plusieurs enfants. Sa fille a seulement 20 mois quand elle donne naissance à des jumeaux.

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La tyrannie de la bonne mère

Le rêve tourne alors vite au cauchemar. Épuisement, isolement, difficultés conjugales, manque de solidarité familiale… L’image de la bonne mère se fissure. « Je ne vois que des petits tortionnaires qui mettent en danger ma survie. Cela fait de moi une “mauvaise mère” et d’eux de “mauvais enfants”. Je bous de colère. Celle-ci est à peu près contenue pendant la nuit, mais elle finit toujours par exploser dans la journée. » Ou encore : « Une sourde angoisse monte petit à petit. La rage intérieure que je tente de maîtriser est croissante, et j’explose fréquemment. Je crie fort. De plus en plus fort. Je tape maintenant facilement : des fessées le plus souvent, des gifles parfois. (…) Je me sens complètement étrangère à moi-même et en total décalage avec l’idée que je me fais d’une mère “suffisamment bonne”. » Elle va jusqu’à penser tout plaquer : « Il me prend très souvent l’envie de partir, de quitter toute la famille. Par trois fois, lors de sorties dans un parc, je suis à deux doigts de franchir le pas. » Happy end malgré tout. La scolarisation de ses enfants lui permet de construire un projet professionnel et de renaître à la vie.