Paranoïa, la maladie du raisonnement

La paranoïa est-elle distincte de la schizophrénie ? S’accompagne-t-elle d’hallucinations ? Les psychiatres l’ont définie par tâtonnements…et ne sont toujours pas d’accord !

Hippocrate utilise déjà le mot « paranous », formé de para : à côté, et de nous : esprit, pour désigner tous ceux qui semblent avoir l’esprit dérangé.

Le terme apparaît pour la première fois sous sa forme actuelle de paranoïa en 1772, mais c’est l’Allemand Johann Heinroth qui l’introduit dans le vocabulaire médical, en 1818, pour désigner la folie en général, comme au temps d’Hippocrate.

Il faudra attendre plus de cinquante ans pour qu’apparaisse une vision plus spécifique de la paranoïa : Richard von Krafft-Ebing appelle ainsi les formes d’aliénation mentale qui portent sur le raisonnement, le jugement. Le grand psychiatre allemand Emil Kraepelin, dans les éditions successives de son Traité de psychiatrie (entre 1887 et 1915), décrit une forme « paranoïde ou délirante » de psychose, et une « paraphrénie systématique », délire systématisé, distinct de celui des schizophrènes, qui ne s’accompagne pas d’une désagrégation de la personnalité ni d’une altération de l’intelligence ; mais il reste évasif quant à l’existence d’hallucinations.

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Le délire d’interprétation

Ce sont deux auteurs français, Paul Sérieux et Joseph Capgras, qui, dans leur livre Les Folies raisonnantes (1909), isolent une forme de paranoïa qu’ils appellent « délire d’interprétation », délire chronique, sans affaiblissement intellectuel, et non accompagné d’hallucinations. Ils distinguent sept types de délirants interprétatifs : les persécutés, les mégalomanes, les mystiques, les autoaccusateurs, les hypocondriaques, les jaloux, les amoureux.

1923 : Gaëtan de Clérambault décrit en détail un type de délire que son expérience professionnelle l’amène à rencontrer, l’érotomanie. Il l’englobe dans une catégorie plus large, les « délires passionnels », comprenant aussi la jalousie et le délire de revendication. Selon lui, les « passionnels » sont plus exaltés que les « interprétatifs », et leur délire s’applique à un secteur, en dehors duquel ils apparaissent comme normaux, alors que le délire d’interprétation se développe en réseau : celui qui croit qu’on lui est hostile interprétera comme hostiles les gestes et paroles de ses voisins, ses collègues, son épicier, etc.

1927 : Les Paranoïaques, ouvrage de Georges Genil-Perrin, marque un tournant. L’auteur y décrit le « groupe des paranoïaques », rassemblant les grands paranoïaques délirants, les paranoïaques atypiques (par exemple les érotomanes et les hypocondriaques de P. Sérieux et J. Capgras), et les « petits paranoïaques constitutionnels », sans délire, qui correspondent à ce que l’on appelle aujourd’hui les « personnalités paranoïaques » : psychose paranoïaque et trouble de la personnalité paranoïaque sont clairement séparés, pour la première fois. En outre, G. Genil-Perrin énonce les quatre traits qui, aujourd’hui encore, sont considérés comme fondamentaux pour caractériser les paranoïaques :