◊ L’histoire des idées politiques
L’histoire des idées politiques est à la fois un cours classique en science politique et un champ de recherche très actif. Il est centré sur les textes des grands penseurs classiques de la tradition philosophique occidentale. Cette histoire fait la part belle à Platon (La République), Thomas Hobbes (Léviathan), Machiavel (Le Prince), John Locke (Traité du gouvernement civil), Rousseau (Du contrat social), Marx (L’Idéologie allemande), jusqu’aux auteurs contemporains : John Rawls, Michael Walzer, etc. Cette histoire intellectuelle explore la généalogie des idées et cherche à mettre à jour les fondements conceptuels des grandes doctrines politiques qui se sont succédé au cours du temps. Ainsi l’histoire du libéralisme a fait l’objet d’une longue tradition d’analyse qui va de Isaiah Berlin (Deux concepts de liberté, 1958), Pierre Manent (Histoire intellectuelle du libéralisme, 1987) à Catherine Audart (Qu’est-ce que le libéralisme ?, 2009).
Cette approche, centrée sur les textes des grands penseurs survalorise sans doute le poids de la philosophie dans l’histoire réelle des nations politiques. Pour ne prendre qu’un exemple, en Grèce antique, la démocratie s’est faite sans Socrate et Platon, qui étaient profondément hostiles à la démocratie. Et si la pensée de Locke a inspiré la constitution américaine, lui-même avait observé le libéralisme en Hollande (où il s’était un temps réfugié) avant d’en faire la doctrine. Preuve que parfois, la réalité précède les idées.
À l’approche dominante, centrée sur les textes de philosophiques, s’est donc opposée une histoire sociale des idées politiques donnant plus de place au contexte social, aux discours politiques concrets tenus par les hommes politiques, aux textes législatifs, aux réseaux d’influences, etc. Ainsi, pour Roger Chartier (Les Origines culturelles de la Révolution française, 1990), l’histoire intellectuelle a accordé sans doute trop de poids au rôle des philosophes des Lumières dans la Révolution française, par rapport à d’autres facteurs proprement culturels (l’éducation, le rôle de la presse, du livre, les cercles de pensée) qui débordent de loin les seuls textes philosophiques. Plus généralement, à l’encontre d’une vision trop idéaliste des doctrines politiques, La Nouvelle Histoire des idées politiques (Arnault Skornicki et Jérôme Tournadre, 2011) s’emploie à restituer les idées dans leur contexte social plus large.
◊ L’analyse critique des idéologies
Karl Marx (1818-1883) a jeté les bases d’une analyse critique des idéologies qui repose sur plusieurs points. L’idéologie est d’abord définie comme l’ensemble des croyances propres à une classe ou à un groupe social. Ainsi, les valeurs individualistes correspondent à l’idéologie de la bourgeoisie montante. L’idéologie est perçue comme une vision fausse et illusoire du monde ; elle cache la réalité des rapports sociaux et justifie l’ordre en place. Elle est un produit de la classe dominante qui tend à légitimer son pouvoir en le justifiant avec des valeurs universelles. Dans le prolongement de Marx, Karl Mannheim (1893- 1947) élargit la notion d’idéologie à une « vision du monde » qui peut être aliénante (l’idéologie dominante) mais aussi libératrice quand les forces révolutionnaires s’en emparent (Idéologie et Utopie, 1929). Ernst Bloch (1885-1977) explorera les idéaux révolutionnaires dans Le Principe espérance (3 vol., 1954-1959). L’idéologie devient alors une force productrice de l’histoire. Toujours dans le cadre du marxisme, les penseurs de l’école de Francfort se livreront à une analyse critique de l’idéologie dominante de la raison et du progrès dans la société moderne (Jürgen Habermas, La Technique et la science comme « idéologie », 1968).