Vous venez de publier deux ouvrages qui portent respectivement sur l’hyperconsommation et sur la plateformisation de l’économie. Percevez-vous un lien entre ces deux phénomènes ?
Le terme « hyperconsommation » désigne le stade contemporain de la société de consommation. Le gros de la population des pays occidentaux a déjà satisfait ses besoins primaires et la plupart des besoins fonctionnels. Le désir de consommation repose dès lors pour une large part sur des facteurs sociopsychologiques : construction de soi, expression de l’adhésion à des valeurs, recherche de lien social, recherche d’imaginaires, d’émotions… La société d’hyperconsommation tout à la fois se nourrit et promeut les valeurs individualistes, matérialistes et hédonistes, qui se sont d’autant mieux répandues que reculaient les grands systèmes de croyances. Elle trouve un puissant relais dans les nouveaux dispositifs de marketing dont disposent les acteurs de l’offre : big data, algorithmes prédictifs, communication « one to one », nudges, neuromarketing…
La plateformisation de l’économie, elle, renvoie au rôle croissant que tiennent les plateformes numériques sur de nombreux marchés. Ce sont des intermédiaires d’un nouveau genre qui, grâce au numérique, sont en mesure de faciliter la mise en relation d’acteurs économiques, à des coûts de transaction très faible. La spécificité de ce modèle fait qu’un très petit nombre d’acteurs ont tendance à occuper des positions dominantes. Amazon règne sur le e-commerce, Le Bon Coin sur les échanges de produits entre particuliers, Back Market sur les ventes de produits reconditionnés, BlaBlaCar sur le covoiturage…
Dans une certaine mesure, la plateformisation constitue une nouvelle dimension de l’hyperconsommation. La quantité de données que les plateformes peuvent réunir et la capacité de traitement dont elles sont généralement dotées leur donnent de puissants leviers d’activation du désir d’achat (telles que des offres ciblées). En même temps, ces plateformes bénéficient généralement d’une offre massive. Netflix proposeraient à ses abonnés en France quelque 5 600 programmes, Spotify 70 millions de titres, Amazon 250 à 300 millions de produits… Cette abondance autorise l’exploitation des marchés de niches dans un contexte d’individualisation des attentes ; elle contribue à la stimulation de la demande en allant au plus près des goûts et désirs de chacun.
Les plateformes permettent-elles d’échapper au marché et de renforcer le pouvoir des consommateurs ?