Il y a longtemps que les chercheurs en sciences de l’éducation savent que la notation des élèves est souvent arbitraire et subjective. En 1938, deux psychologues, Henri Laugier et Dagmare Weinberg, publiaient les résultats de leur participation à une enquête internationale sur les examens et concours (1). En faisant corriger les mêmes copies de baccalauréat par des professeurs différents, ils avaient obtenu des résultats spectaculairement inéquitables : entre le correcteur le plus indulgent et le correcteur le plus sévère, l’écart maximum enregistré sur une même copie était de 8 points en physique, de 9 en anglais et en mathématiques, de 12 en latin et en philosophie, de 13 en composition française ! De nombreuses autres enquêtes ont ensuite largement confirmé ces écarts de notation entre les professeurs. Pire encore, d’autres travaux ont montré que le même professeur peut noter très différemment un travail scolaire identique (2). Si le professeur connaît l’élève, il peut être inconsciemment influencé par ses caractéristiques globales de présentation (effet de halo) : apparence physique, vêtements, postures corporelles, mode d’élocution séduisent ou attirent l’hostilité du professeur, qui se montre plus ou moins sévère au moment de la correction des devoirs de cet élève.
Effet de halo et constante macabre…
Il a même été démontré que le sexe de l’élève pouvait induire des partis pris de correction. Le comportement en classe est également déterminant : quel professeur n’a pas eu envie de régler ses comptes avec un élève dissipé en sous-évaluant systématiquement ses productions écrites ? Certains professeurs se figent aussi dans leur premier jugement et notent ensuite l’élève de la même manière toute l’année, quelle que soit la qualité de ses productions (effet de stéréotypie). L’ordre de correction des copies est également déterminant : une copie moyenne corrigée après une copie médiocre sera mieux notée que si le professeur vient de corriger une copie excellente. Le niveau global de la classe influence de la même manière la notation, les productions d’un élève pouvant être jugées moyennes, bonnes ou médiocres selon le niveau des autres élèves (effet de relativation). Il y a enfin ce qu’un chercheur a appelé la « constante macabre », qui veut que « sous la pression de la société, les professeurs se sentent obligés de mettre un certain nombre de mauvaises notes, même dans les classes de bon niveau, pour être crédibles (3) ».
C’est pourquoi, quelques mois après les événements de mai 1968, le ministre de l’Éducation nationale d’alors, Edgar Faure, avait tenté de transformer en profondeur les pratiques de notation. Il préconisait l’abandon de la notation sur 20 au profit d’appréciations plus globales en cinq niveaux, de A à E. Dans sa circulaire, le ministre demandait aux enseignants de « prendre conscience de la relativité de la note » et « d’éviter de la dramatiser » (4).
Mais en quelques années, la circulaire a été oubliée et les modes de notation traditionnels sont redevenus majoritaires. Pourquoi ces pratiques, dont tous les spécialistes depuis presque un siècle critiquent l’iniquité, persistent-elles avec tant d’insistance ?