Il est difficile de ne pas être frappé par l’égoïsme et la duplicité de l’être humain. À plusieurs égards, le mensonge et l’exploitation semblent former la toile de fond de notre histoire commune. Tout est cependant une question de perspective. Lorsque l’on compare l’espèce humaine aux autres animaux, on découvre en elle la championne de la coopération. Il suffit de penser à de simples actions de la vie quotidienne : nous déposons notre enfant à l’école, confiant d’y trouver quelqu’un qui en prendra soin. Nous achetons du lait au supermarché sans craindre de nous empoisonner. Nous travaillons plusieurs semaines persuadés que nous serons payés en échange.
Agir ensemble pour un objectif commun
La tromperie et la duplicité nous déçoivent, mais l’écrasante majorité de nos interactions demeurent marquées par la confiance et la coopération.
Qu’est-ce exactement que la coopération ? Dans son sens le plus immédiat, c’est simplement le fait d’agir ensemble en vue d’un objectif commun. Certaines précisions sont cependant nécessaires. D’abord, la coopération ne se confond pas avec l’altruisme. Ce dernier désigne un comportement bénéficiant à autrui, alors que la coopération implique qu’un but commun soit partagé par les acteurs. Si vous donnez cent euros à une œuvre de bienfaisance, vous faites preuve d’altruisme et non de coopération. Cette distinction conceptuelle est souvent négligée, ce qui peut s’expliquer par le fait que la coopération et l’altruisme reposent en bonne partie sur les mêmes bases psychologiques et sont tous deux étroitement reliés à la moralité.
Une autre distinction doit être faite entre la coopération et ce que les biologistes appellent le mutualisme. Pensez par exemple à la relation qui existe entre vous et les milliards de bactéries qui se trouvent dans votre intestin. En un sens, vous entretenez avec elles une relation mutuellement avantageuse : vous leur fournissez un environnement parfait pour se développer et, en échange, elles vous aident à digérer. Pourtant, cette relation ne peut pas être appelée coopération. Pour ce faire, deux conditions supplémentaires devraient être réunies. La première est l’existence d’une forme d’intention partagée. Les acteurs qui coopèrent doivent être mutuellement conscients de l’objectif commun poursuivi et chercher à ajuster leur comportement l’un à l’autre. Pour déplacer un meuble lourd avec un ami, vous serez à l’affût des signaux qu’il vous envoie et vous ajusterez vos mouvements aux siens. Mais lorsque deux personnes travaillent sans le savoir à la réalisation d’un même objectif, on ne dira pas qu’elles coopèrent.
Une deuxième condition veut que la coopération repose sur ce que l’on appelle des « motivations mixtes », c’est-à-dire que les gens doivent avoir une raison de coopérer, mais aussi une raison de ne pas le faire. Ce n’est pas le cas avec ma flore intestinale : je n’ai aucune raison de ne plus l’accueillir dans mon intestin et elle n’a aucune raison de cesser de m’aider à digérer. Cette condition est en revanche satisfaite lorsque j’aide un ami à déplacer un meuble lourd : je suis heureux de l’aider parce que je tire profit de notre amitié, mais le déplacement requiert un effort de ma part que je pourrais préférer m’épargner. Pour parler de coopération, il faut donc qu’il y ait au moins des circonstances où les coopérateurs pourraient préférer faire cavalier seul.