A deux heures de voiture du Cap, en Afrique du Sud, dans une région inhabitée, au bord de l'Océan indien, se trouve la grotte de Blombos. Le lieu est paradisiaque : l'océan, les longues plages et les dunes de sable, un ciel toujours bleu, une végétation et une faune sauvages. C'est dans cet espace protégé que l'équipe dirigée par l'archéologue Christopher S. Henshilwood vient de faire une découverte fondamentale. Une découverte qui bouleverse une des certitudes que l'on croyait le mieux établie sur la préhistoire de l'homme.
Apparemment, rien de très spectaculaire : deux petits blocs d'ocre rouge, de quelques centimètres de longueur, sur lesquels ont été gravées des séries de traits parallèles. Ces gravures ont été datées de plus de 77 000ans. Et c'est là que réside l'information la plus importante. Voilà pourquoi l'article paru dans Science, qui relate cette découverte, a fait, en quelques heures, le tour du monde, éveillé l'intérêt de tous les spécialistes et attiré une foule de journalistes 1. Car la découverte des gravures de la grotte de Blombos remet en question une thèse que l'on croyait bien établie : celle d'une « explosion artistique et symbolique » qui serait survenue en Europe il y a 35 à 40 000 ans.
L'idée selon laquelle les « cultures symboliques » ont émergé en Europe au paléolithique supérieur (soit à partir de - 35 000 ans) était solidement ancrée dans l'esprit des préhistoriens. Cette théorie repose sur l'existence des fameuses grottes ornées du sud de l'Europe : Lascaux, Altamira, Chauvet 2. Cet « art des cavernes » est apparu au cours de la préhistoire, à la même époque qu'une série d'autres innovations culturelles et techniques 3 : nouveaux outils (sagaies, harpons, flèches, burins, pointes, outils en os), usage de colorants, apparition de la pêche, colliers et sculptures sur bois... Voici les traits marquants d'un « big-bang culturel » qui serait survenu en Europe au paléolithique supérieur 4.
Si on s'en tient à ce schéma traditionnel, les premiers « hommes modernes » n'auraient fait que développer une culture matérielle, centrée sur les outils de pierre, la construction d'habitats, la maîtrise du feu. Puis ils seraient entrés plus tardivement, au paléolithique supérieur, dans le monde de la culture symbolique, marquée par le langage articulé, des croyances religieuses, des activités artistiques et sans doute des rites et pratiques magiques...
Cette « révolution sociosymbolique » correspond à l'arrivée en Europe des premiers hommes modernes : l'homme de Cro-Magnon supplante l'homme de Neandertal. Ce dernier était présent en Europe depuis 100 000 ans déjà et il va disparaître, pour des raisons qui restent inconnues, au moment où arrivent ces hommes dits modernes.