Rencontre avec Louis-Jean Calvet : Le sens n'est pas dans le mot

Quand les mots nous échappent, quand les calembours fusent et quand l’ambiguïté règne, c’est qu’il y a du jeu dans le signe. Selon Louis-Jean Calvet, ces faits n’ont rien de marginal : ils remettent en cause l’idée fondamentale que la langue est un code.

Louis-Jean Calvet, professeur à l’université d’Aix-en-Provence, a plusieurs cordes à son arc, et une quarantaine d’ouvrages publiés sur des sujets aussi variés que la chanson française, les politiques linguistiques, la concurrence des langues, le français tel qu’on le parle et les discours de campagne électorale des candidats de 2007. À première vue, pas de ces sujets furieusement techniques qui cachent quelque grand débat sur les universaux ou l’histoire des langues humaines. Chez L.‑J. Calvet, c’est un choix délibéré, une posture, et pas simplement une question de division du travail. Il met donc les choses au point : « Les gens m’appellent sociolinguiste. Ça me paraît une distinction inutile : je me considère comme un linguiste à part entière, pour la simple raison qu’à mes yeux, une langue n’existe que dans et par les usages qu’en font les gens dans la vie sociale. Il n’y a donc pas de sociolinguistique : la linguistique doit être une science sociale puisque son objet est social. »

Entre deux analyses de discours politiques, L.‑J. Calvet croise un peu le fer avec les amateurs de systèmes et de structures profondes, qu’ils soient fonctionnalistes, générativistes ou autres. En 2005, dans ses Essais de linguistique (Plon), il s’en prenait à un peu à tous à la fois, et plaidait pour que soit reconnu le désordre de la langue. En 2010, dans Le Jeu du signe, c’est l’héritage saussurien qu’il nous invite à molester, par des moyens, il faut le dire, plus ludiques et plaisants que franchement académiques.

« J’ai tout vu, j’ai tout lu et j’ai tout fait. J’étouffe encore parfois… » Un simple jeu de mots du chanteur Bénabar suffirait-il à congédier l’incontournable théorie structurale du langage ? Évidemment non, mais c’est avec ce genre d’exemple que L.‑J. Calvet parvient à nous entraîner dans les pages d’un catalogue de ratés, de jeux de parole, de curiosités poétiques, de hasards lexicaux et de contrepets savants, et douter de quelques évidences bien partagées : celle du signe comme support du langage naturel, celle du code comme système de signes, celle du mot comme unique véhicule du sens.

« J’ai essayé, explique-t-il, de prendre le lecteur par la main et de le mener à travers des dossiers qui tous mettent à mal la théorie du signe selon Saussure. Il y a un chapitre sur les lapsus, un autre sur des textes de chansons, un sur les jeux de mots, et sur le cas particulier de Wolfson, un schizophrène qui refusait d’entendre la langue de sa mère et s’était inventé une langue qui ne lui servait qu’à traduire ce qu’elle lui disait en anglais. Dans la foulée, je présente aussi le cas des énantiosèmes : ce sont des mots qui disent à la fois une chose et son contraire. En français, nous avons le verbe “louer”, qui peut signifier “prendre en location” ou “donner en location”. Le mot “hôte”, également, présente la même duplicité, il désigne aussi bien la personne qui reçoit que celle qui est reçue. Ce sont des mots assez rares, certes, mais ils posent un problème que beaucoup de linguistes évacuent. Je pense qu’il nous faut reconnaître que c’est au minimum l’indice de l’existence d’un désordre dans le code langagier : un signifiant qui renvoie à des signifiés qui non seulement sont multiples – ça, c’est très courant –, mais qui s’opposent, c’est plus troublant. »