Repenser l'unité du genre humain

Plus morcelées que jamais, les sciences 
sociales avaient abandonné le projet de révéler 
ce que la condition humaine a d’universel. 
Des sociologues tentent de remettre 
cette ambition au goût du jour.

Quelle image les sciences sociales donnent-t-elles de l’être humain dans toute sa généralité ? Voilà une question à laquelle ces disciplines semblaient bien avoir renoncé à donner une réponse. On le sait, l’heure est plus que jamais au morcellement : un sociologue de l’éducation, un spécialiste d’anthropologie économique et un historien des partis politiques seraient sans doute bien en peine de trouver une base commune à leurs travaux. Dans ces conditions, penser l’unité de l’humain pouvait apparaître comme un projet insensé.

 

Les trois grammaires de la vie sociale

Pourtant, de nouvelles tentatives se sont manifestées pour reprendre ce chantier abandonné, en tentant de mettre à jour les logiques universelles de l’action. Autrement dit, qu’avons-nous en commun, dans nos manières d’agir, avec les Nambikwaras du Brésil ou les nobles italiens de la Renaissance ?

Ruminé pendant de longues années, l’ouvrage de Cyril Lemieux, Le Devoir et la Grâce (Economica, 2009), se révèle le plus abouti. Élève du sociologue Luc Boltanski, C. Lemieux était jusque-là essentiellement connu pour son travail sur les critiques adressées aux journalistes, qu’il rapportait aux diverses logiques d’action dans lesquelles sont pris ces derniers (Mauvaise presse, Métailié, 2000). C’est dans le même esprit – mais évidemment à une tout autre échelle ! – qu’il a entrepris de développer une vision synthétique de ce qui fait l’unité de l’homme. Le vocabulaire, comme le style de l’ouvrage (189 propositions lapidaires, entrecoupées de 77 scolies développant le propos, des illustrations tirées d’enquêtes historiques ou anthropologiques et de la littérature), peut surprendre, mais l’idée essentielle est relativement simple. Selon C. Lemieux, partout et tout le temps, le fonctionnement de la vie sociale peut être décrit à partir de trois « grammaires » – et trois seulement –, une grammaire étant définie comme « l’ensemble des règles à suivre pour être reconnu dans une communauté, règles d’action ou de jugement comme sachant agir et juger correctement ». Tout individu possède donc trois compétences anthropologiques fondamentales :