Des maux de dos récurrents, une posture courbée, une voix mal assurée, une poussée d’eczéma… « C’est le corps qui parle », a-t-on pour habitude de dire quand, à force d’accumuler les soucis sans pouvoir les verbaliser, les voyants se mettent au rouge. Les thérapies psychocorporelles sont des thérapies qui se servent du corps comme médiateur ou qui partent du corps pour soutenir un travail d’exploration psychique. Depuis l’Antiquité, les philosophes nous disent que corps et esprit sont intimement liés. Quand l’un est en proie aux tourments, l’autre les met en scène. En soignant le corps, on soignerait donc le mental, et vice versa. Pendant longtemps, les psychothérapeutes ont mis de côté les aspects corporels du mal-être, se centrant uniquement sur le travail d’élaboration psychique. Aujourd’hui, ils redécouvrent à travers le corps de nouvelles voies de guérison possibles. Quand un patient reste bloqué sur un même symptôme, passer par cet autre levier peut en effet ouvrir de nouvelles portes. Du côté du public, ces pratiques sont aussi largement plébiscitées, car plus limpides qu’un long travail d’analyse de l’inconscient, moins coûteuses (en temps et efforts) et souvent aussi plus probantes à court terme. Avec l’accélération de nos rythmes de vie, la multiplication des contenus anxiogènes dans les médias, des exigences de performance toujours plus importantes, le retour aux sensations corporelles offre une soupape salutaire pour décompresser. De la maternelle jusqu’à l’ehpad, le maître mot devient « retour à soi », pour s’apaiser, se recentrer sur l’essentiel, reprendre confiance en soi et développer son potentiel.
Briser l’armure
L’idée de partir du corps pour apaiser l’esprit a des racines très anciennes. Depuis l’Antiquité, des prêtres, exorcistes et guérisseurs s’appuient sur la transe, la méditation, la danse, les massages et d’autres techniques corporelles pour atteindre cet objectif. Chez les philosophes, on s’astreint à des exercices spirituels, tels que la contemplation, l’examen de conscience ou encore l’anticipation des difficultés à venir, pour accéder à la sagesse et à un mieux-être physique et mental. À l’ère moderne, l’un des premiers psychothérapeutes à s’intéresser au langage du corps est le psychanalyste autrichien Wilhelm Reich (1897-1957). Dans les années 1930, il développe le concept de « cuirasse musculaire », une forme de mémoire corporelle des traumatismes enfantins qui resteraient inscrits dans le corps sous forme de tensions musculaires et blocages énergétiques. Il faut les libérer en laissant parler le corps, suggère-t-il. En reprenant ces thèses, son disciple Alexander Lowen (1910-2008) développe dans les années 1950 l’analyse bioénergétique. Il y intègre des techniques de respiration, de relaxation, de yoga ou encore de gymnastique pour aider ses patients à dénouer les tensions internes. Au même moment, le psychanalyste Fritz Perls (1893-1970), autre élève de W. Reich développe la Gestalt-thérapie, une des premières thérapies associant travail verbal et approches corporelles, comme le théâtre, le psychodrame ou encore des techniques de libération émotionnelle. F. Perls a pour ambition d’appréhender l’individu dans sa dimension « holistique », incluant le corporel, le mental, l’émotionnel, le relationnel. Inscrit dans une culture américaine très pragmatique, il s’intéresse au changement dans le présent, plutôt qu’aux sources du mal-être dans le passé.
Avec les mouvements contestataires des années 1960 et la libération des mœurs, les approches corporelles se multiplient et gagnent en renommée. Aux États-Unis, le psychologue Arthur Janov développe le « cri primal », une technique de libération émotionnelle cathartique qui invite à se délester d’angoisses archaïques en poussant un cri très fort. Le rebirth, issu du mouvement new age, propose de libérer les émotions refoulées en forçant la respiration (hyperventilation). Ida Rolf invente le « rolfing » des massages dynamiques qui ont pour but de rééduquer la posture et le mouvement, Edmund Jacobsen la relaxation progressive, une forme d’apprentissage autorelaxant qui consiste à contracter et relâcher tour à tour plusieurs muscles du corps. Au Danemark, la psychologue Gerda Alexander, atteinte de rhumatismes aigus, développe l’eutonie (lit. « juste tonus »), le physicien israélien Moshé Feldenkrais, la méthode Feldenkrais, des gymnastiques douces dont l’objectif est de prendre conscience du corps à travers le mouvement.
Méthodes orientales
À partir des années 1980, l’Europe et les États-Unis commencent en outre à se passionner pour les techniques orientales, notamment la méditation. L’Américain Jon Kabat-Zin est le premier à introduire des techniques de méditation bouddhiste au sein des hôpitaux avec son programme de réduction du stress basé sur la « pleine conscience ». Avec cette méthode, il ouvre la voie aux psychologues John Teasdale, Mark Williams et Zindel Segal qui, dans les années 2000, élaborent la thérapie cognitive basée sur la pleine conscience. Elle s’inscrit dans la troisième vague des thérapies cognitives et comportementales (TCC) qui s’intéresse davantage aux émotions et à l’acceptation de celles-ci, plutôt qu’aux seuls comportements. La pleine conscience va donner une nouvelle jeunesse aux TCC et renforcer leur popularité avec des figures médiatiques comme Christophe André qui prône ses mérites dans ses nombreuses publications.