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| Martin Heidegger (1889-1976) en 1958 |
L’affaire semblait entendue. Le philosophe Martin Heidegger a été recteur de l’université de Fribourg, tout de suite après la prise de pouvoir de Hitler en Allemagne (1933), où il a prononcé un discours de soutien au régime nazi. Avant cela il a été proche des SA, mais aussi ami avec le juriste Carl Schmitt avec qui il a siégé dans la commission qui a élaboré les lois raciales de Nuremberg. Pour clore le tout, il a toujours refusé, après-guerre, de s’exprimer sur son engagement national-socialiste, qu’il n’a jamais renié… Avec la parution en 2014 des Cahiers noirs (34 cahiers à couverture noire écrits à la main entre 1930 et 1970, et pas tous encore parus à ce jour), son antisémitisme forcené est apparu plus flagrant encore. Dès lors que tout le monde admet qu’il a été un nazi convaincu, pourquoi le cas Heidegger est-il encore débattu en France ? En fait, ce vieux débat s’est un peu déplacé, et les philosophes se demandent si une distinction est possible ou pas, et si oui à quel point, entre sa pensée philosophique et son engagement politique. Sur cette question, plusieurs groupes s’affrontent, parfois de façon houleuse.
D’un côté, ceux qui estiment qu’il y a quelque chose, malgré tout, à garder dans la pensée du philosophe. En effet, Être et temps (1927), notamment, a élaboré une réflexion sur le temps et la finitude humaine qui nourrira les pensées de Jean-Paul Sartre, Maurice Merleau-Ponty, Jacques Derrida ou Emmanuel Levinas : cela justifie qu’on se pose la question. On trouve ici Barbara Cassin, Alain Badiou, et surtout François Fédier, traducteur du philosophe allemand. Ce dernier défend une position extrême : Heidegger croyait que le nazisme allait sauver la société allemande en « perte de repères », mais il s’en est ensuite éloigné, et cette funeste erreur n’enlèverait rien à sa réflexion et la perspective originale qu’il propose sur l’histoire de la pensée philosophique occidentale depuis les Grecs. Par ailleurs, sa critique de la civilisation technique occidentale, du nihilisme et du consumérisme feraient d’Heidegger un penseur très actuel 1.
