« Dois-je pousser un inconnu du pont si cela sauve cinq personnes ? »
« Tout dépend si tu le pousses à la main ou avec une perche… »
Aussi absurde qu’il puisse paraître, cet échange imaginaire ne fait que mettre en mots ce que notre intuition nous susurre dans certains cas : qu’il est plus grave de pousser quelqu’un à la main qu’avec un bâton. C’est une des bizarreries de la pensée morale que le chercheur de Harvard Joshua Greene, à la fois formé à la philosophie et à la psychologie, décortique avec bonheur dans cet ouvrage passionnant, voguant entre réflexions personnelles et considérations scientifiques.
La morale est peut-être cet ensemble complexe de principes qui permettent à des humains de collaborer au sein de clans, leur fournissant ainsi un avantage sur des groupes moins soudés, où l’égoïsme de chacun l’emporte. On comprend bien à la lecture de l’ouvrage de J. Greene comment une forme d’esprit tourné vers la collaboration a pu être sélectionnée au fil de l’évolution. On comprend aussi que le dévouement au groupe, s’il va trop loin, dessert l’individu. Il nous faut rester cet être hybride, égoïste sociable, avare serviable, surtout intéressé par soi mais pétri du détestable esprit de clocher. L’auteur des Tribus morales montre, à coups d’arguments frappants et d’expériences étonnantes, à quels tiraillements nous amène cette double pulsion : choisir entre soi et le groupe, entre moi et nous, est pour J. Greene une « tragédie morale ».
La morale ne répond donc pas à une logique simple. L’ouvrage est parsemé de dilemmes moraux qui font les délices des philosophes et nous chatouillent le cerveau. Ils nous montrent que toute règle morale universelle à laquelle on peut penser naïvement est bousculée par des cas particuliers. Pire : nous découvrons souvent que ces problèmes moraux font naître des paradoxes à l’intérieur de notre esprit même.