Trois moments d'une oeuvre

1949 : Les Structures élémentaires de la parenté

Les structures élémentaires de la parenté, publié en 1949 sous des dehors très spécialisés, apparaît d’emblée comme une œuvre de grande ambition. En effet, partant de l’idée que la prohibition de l’inceste est présente, sous des formes différentes, dans toutes les sociétés humaines, C. Lévi-Strauss en considère l’effet positif : celui d’avoir à échanger avec autrui. C. Lévi-Strauss y voit l’acte fondateur par lequel les sociétés instituent la culture et s’arrachent à la nature.

Mais en quoi cela constituerait-il des « structures de parenté » ? Pour le montrer, C. Lévi-Strauss est amené à restreindre son objet à ces sociétés décrites par les ethnographes et les orientalistes, où le mariage obéit à des prescriptions telles qu’un homme doit épouser une catégorie déterminée de parente : une cousine paternelle, par exemple, ou une nièce par la sœur. Cette régularité signale l’existence d’un système reliant le mariage et les nomenclatures de parenté dans des sociétés traditionnelles. Ce système, c’est celui des échanges de femmes entre familles, maisons ou groupes plus étendus.

La suite de l’ouvrage est la démonstration de cette thèse, appliquée à de nombreux exemples australiens, asiatiques, indiens, océaniens, amérindiens et rarement africains. C. Lévi-Strauss montre qu’il existe deux sortes de systèmes d’échange. Le plus simple implique deux groupes où la règle de mariage est telle que la réciprocité y est soit immédiate, soit différée d’une génération. C. Lévi-Strauss appelle cela « échange restreint », car il n’assure, au fond, que la permanence des liens entre deux partenaires. Le plus compliqué est celui où la règle de mariage est telle que la réciprocité semble contredite. C’est le cas en Asie du Sud-Ouest ou en Insulinde, où les mariages sont asymétriques : la maison A donne des femmes à la B, mais jamais l’inverse. Lévi-Strauss y voit cependant une règle d’échange dans la mesure où, explique-t-il, le circuit doit se boucler quelque part : A, B, C, D… Z, qui donne à A. Ces systèmes impliquent un nombre quelconque de partenaires, qui ne se conçoivent pas comme directement liés, mais qui de fait le sont : c’est « l’échange généralisé ».

Après 1959, sa situation au Collège de France lui laissant toute liberté de choisir ses sujets, Claude Lévi-Strauss peut mener à bien une entreprise esquissée en 1955. Durant six années, l’essentiel de son cours porte sur la mythologie amérindienne, et donne lieu à quatre volumes publiés d’analyse comparée de 816 récits collectés du nord au sud du continent. L’entreprise, mobilise les mêmes outils que les classifications totémiques (analogie et contraste), mais en fait travailler également un troisième : le principe de « transformation » qui, en langage moins rigoureux, signifie que tous ces récits, bien qu’appartenant à des cultures différentes, parlent la même langue, se répondent, et constituent autant de combinaisons d’un même « lexique » de motifs (ou « mythèmes »). La démonstration vaut sur plusieurs plans : celui de l’efficacité de la méthode structurale, celui du « lexique » de la pensée amérindienne, et la commune construction de tous les mythes. En fait, la véritable conclusion de ce travail ne sera donnée qu’en 1985, dans qui répond à une suggestion avancée en 1955 : celle d’une clé universelle de la structure de tous les mythes.