« Mon âme ! Quand seras-tu donc bonne et simple, sans mélange et sans fard ? (…) Quand renonceras-tu à ces folles cupidités et à ces vains désirs qui te font souhaiter des créatures animées ou inanimées pour contenter tes passions, du temps pour en jouir davantage, des lieux et des pays mieux situés, un air plus pur, et des hommes plus sociables ? Quand seras-tu pleinement satisfaite de ton état ? Quand trouveras-tu ton plaisir dans toutes les choses qui t’arrivent ? Quand seras-tu persuadée que tu as tout en toi ? »
Ces lignes, issues des Pensées de Marc Aurèle rédigées entre 170 et 180 de notre ère, n’ont rien perdu de leur actualité : nous nous posons toujours aujourd’hui les mêmes questions sur nos capacités à nous comprendre, nous raisonner et nous changer. Leur résonance si moderne et émouvante nous rappelle que le développement personnel n’a rien d’un phénomène de mode, mais que ses racines remontent clairement à des horizons lointains, sur le plan temporel ou géographique…
Éternel : le travail sur soi
Pour les philosophes grecs et latins de l’Antiquité, il était logique de devoir travailler à devenir et à rester un être humain : vivre, dialoguer, maîtriser ses passions, tout cela relevait à la fois d’une éducation et d’une démarche personnelle, l’askésis, qui désignait la pratique régulière d’exercices spirituels ou philosophiques, comme on voudra les nommer. Ainsi, « apprendre à vivre » n’avait à leurs yeux rien de choquant, et il fallait pour cela travailler à soi, comme le musicien travaille à son instrument et pratique régulièrement et humblement ses gammes. Pour eux, cyniques ou stoïciens notamment, les paroles n’étaient rien, seule la manière de vivre avait du sens et désignait le sage, l’homme de bien.
On raconte ainsi que Diogène, qui vivait – difficilement – des aumônes de ses concitoyens, passa un jour de longues heures à tendre la main, paume vers le ciel, à une statue ; comme on lui demandait quelle mouche le piquait de mendier ainsi face à un bloc de pierre, il répondit : « Je m’habitue au refus. » Une autre fois, pour montrer à l’un des imprudents qui voulaient le choisir comme maître ce qu’était la liberté d’esprit, il lui prescrivit, plutôt que de longs discours, ce simple exercice : se promener sur l’agora en tirant derrière lui un hareng saur au bout d’une ficelle, s’exposant ainsi aux moqueries de tous. On raconte que l’élève prit aussitôt la fuite : la leçon de développement personnel proposée par Diogène était bien trop difficile… Ces « épreuves de réalité », bien plus exigeantes et efficaces que de simples discours ou conseils, sont aujourd’hui au cœur de la pratique des thérapies comportementales et cognitives (les TCC), aux yeux desquelles « l’expérience instruit plus sûrement que le conseil », selon les mots bien connus d’André Gide.
À côté de ces racines anciennes, il y a aussi des racines lointaines : à l’autre bout de la planète, les traditions orientales en arrivaient, dans le même temps, aux mêmes conclusions et aux mêmes démarches. Par exemple, la méditation bouddhiste encourage à s’entraîner inlassablement à cultiver deux pratiques : celle de l’apaisement personnel, appelée shamatha (« calme ») et celle de la lucidité intellectuelle, appelée vipassana (« vision pénétrante »). La première voie est nécessaire pour que la seconde s’exerce pleinement. L’esprit agité et dispersé ne peut poser sur le monde un regard lucide.