Une économie à refonder

La crise qui sévit depuis 2007 a sapé la légitimité
 des théories économiques. Certains économistes, comme André Orléan, 
ne proposent rien moins qu’une refondation de la discipline.

« Refonder l’économie » : le sous-titre de l’ouvrage d’André Orléan ne manque pas d’audace. Certes, nombreux, même parmi les économistes, ont admis que la crise financière initiée en 2007 a mis en déroute les théories les mieux établies. Mais du constat d’échec à la refondation d’une discipline, il y a un pas suffisamment ample pour que l’on ne s’y risque pas à la légère. L’Empire de la valeur (Seuil, 2011) n’a cependant rien d’un livre de circonstance. Cet ouvrage est au contraire une forme d’aboutissement d’une trajectoire intellectuelle initiée il y a maintenant trois décennies. Depuis La Violence de la monnaie (Puf, 1982, coécrit avec Michel Aglietta), un livre placé, déjà, sous les auspices de la théorie du désir mimétique de René Girard*, A. Orléan, cet « économiste atterré (1) » , n’a cessé d’œuvrer à un renouvellement de la pensée économique, s’attachant notamment à décrypter l’instabilité foncière des marchés financiers.

 

Une « économie des relations »

La refondation dont il est question ici n’entend pas mettre à bas les savoirs constitués en économie, mais plutôt les dépasser en proposant un cadre plus général qui en ferait le cas particulier d’une « économie des relations ». C’est lorsqu’il était l’un des animateurs de l’École française des conventions, aux côtés d’Olivier Favereau, Laurent Thévenot ou Jean-Pierre Dupuy (2), qu’A. Orléan a fomenté cette ambitieuse stratégie d’« englobement ». Plutôt que mener une critique frontale de la théorie économique, ces chercheurs entendaient la compléter en mettant en lumière les règles, les normes et les accords tacites sans lesquels une économie de marché ne saurait fonctionner correctement.

Que se passe-t-il lorsque, comme dans le marché des voitures d’occasion, les acheteurs ne savent jamais vraiment si la voiture qu’on leur propose est fiable ? Comme l’a montré l’économiste George Akerlof, le prix devient alors un indicateur de la qualité des voitures : plus c’est cher, plus ce devrait être bien. Le problème, c’est que la loi de l’offre et de la demande ne fonctionne plus. Au lieu d’introduire une « rétroaction négative » (le prix monte, donc la demande baisse, ce qui résorbe le déséquilibre entre l’offre et la demande), on rentre alors dans un monde instable où les « rétroactions positives » l’emportent (le prix augmente, donc la voiture est de bonne qualité, donc la demande augmente, ce qui accroît le prix, et ainsi de suite).