Réunis dans le salon d’un hôtel des États-Unis, les membres d’une association pour parents d’enfants fugitifs s’initient à la marijuana pour mieux comprendre les raisons pour lesquelles leurs enfants ont décidé de quitter le foyer familial si tôt. Nous sommes en 1971, dans Taking off de Milos Forman, film emblématique d’une génération qui fit de l’éloge de la fugue et de la rupture géographique et idéologique avec le cocon familial la condition d’entrée dans l’âge adulte. Les idéaux dont s’empare la jeunesse sont très fortement corrélés aux mutations historiques, économiques et sociales mais aussi aux représentations médiatiques qui sont faites d’elle. Or, quarante ans après la révolution sexuelle, on lit régulièrement que le film Tanguy (Étienne Chatiliez, 2001), récit des péripéties d’un garçon de 28 ans vivant toujours chez ses parents – lesquels vont user de tous les stratagèmes possibles pour lui faire enfin quitter le domicile familial – serait emblématique de la tendance qu’ont les derniers enfants des baby-boomers à rester sous dépendance parentale prolongée.
Certes, les chiffres sont là : en 2008, au sein de l’Union européenne, 20 % des femmes et 32 % des hommes âgés de 25 à 34 ans vivaient avec au moins un de leurs parents, dont seulement 13 % d’entre eux parce qu’ils font encore des études. Un grand nombre de pays seraient si concernés par le phénomène qu’un peu partout s’est créé un mot spécifique pour le nommer : Nesthocker (« pilleurs de nid ») allemands, neet (not in education, employment or training/sans éducation, sans emploi, sans formation) ou kippers (kids in parents’ pockets eroding retirement savings/gosses qui piochent dans les poches de leurs parents et grignotent leur épargne retraite) britanniques, parasaito shinguru (« célibataires parasites ») au Japon, mais surtout bamboccioni (grands bébés) en Italie où le phénomène est particulièrement important.
Des formes de cohabitations subies
Pour autant, regrouper tous ces jeunes adultes sous la bannière du « tanguisme » ne résiste pas à une analyse plus poussée. La sociologue Cécile Van de Velde est l’auteure d’une enquête sur les modes de cohabitation entre les jeunes adultes français et leurs parents. Selon elle, le personnage d’É. Chatiliez « incarne bien entendu quelques tendances émergentes : la cohabitation entre les jeunes adultes et la génération aînée a augmenté au cours des années 1980-1990, en réponse principalement à l’augmentation de la durée des études et au durcissement relatif des conditions d’intégration sur le marché du travail, et plus récemment de l’accès au logement ». Mais, note-t-elle, les jeunes Français partent de chez leurs parents vers 23 ans. C’est certes plus tard que les Britanniques et les Scandinaves, mais beaucoup plus tôt que les Méditerranéens et les Irlandais (27-28 ans). Ensuite, Tanguy est un archétype social : ses parents vivent dans un somptueux appartement et il est normalien. Comment un fils d’ouvrier qui travaille lui-même à l’usine ou un bambocciono italien de la classe moyenne pourrait-il se retrouver dans ce portrait ? Enfin, contrairement à Tanguy, qui choisit de rester chez ses parents, « les formes de cohabitations prolongées en France relèvent davantage de situations subies que choisies. »